La muse du pinceau

Les années sont de plus en plus noires pour Indo, en dépit du succès du Birthday Tour en 1992. Il n’y a bien que leurs fans pour les soutenir, à l’heure où les médias et le grand public s’adonnent à de nouveaux courants musicaux propres aux années 90, et renvoient indifféremment tout ce qui touche aux années 80 aux oubliettes. Quand ils ne sont pas rendus ringards. Indochine est touché par la malédiction, quand bien même le groupe a su prouver leur capacité à évoluer avec leur temps. Dans cette spirale infernale, Nicola se réfugie dans ses découvertes culturelles et s’intéresse à Egon Schiele, peintre autrichien du début du XXe siècle dont il trouve terrain commun pour la représentation des jeunes filles via un esthétisme charnel. Une nouvelle inspiration prend forme et donnera entre autres la chanson Savoure le Rouge.

Savoure le Rouge décline l’art d’Egon Schiele sur les thèmes de la peinture et du nu féminin. Le deuxième sujet habituellement terrain glissant inspire néanmoins Nicola pour un texte élégant, traitant la beauté féminine comme une œuvre d’art et non comme un objet sexuel. Ce que faisait Schiele avec ses peintures, à sa manière, Nicola le fait avec la musique. Jusqu’au titre de la chanson, qu’il puise dans la biographie du peintre où celui-ci aurait prononcé « Il faut que je savoure ce rouge » après avoir atteint la couleur qu’il désirait. Le parallèle avec l’« appareil féminin » semblerait presque involontaire, si l’on savait Nicola innocent ! Outre le fond il faut saluer la forme : c’est là sans conteste l’un des plus beaux textes du chanteur, qui a su brillamment conjuguer l’esthétique du thème choisi avec l’élégance d’un vocabulaire et d’une syntaxe dictée par une plume mûrement maîtrisée.

Comme écrin à ce texte sulfureux, Dominik compose une musique efficace, tubesque même ! Du Baiser acoustique le compositeur pénètre dans une nouvelle sphère où les guitares électriques redeviennent maîtresses et le seront tout le long d’Un Jour dans notre Vie, avec une force presque insoupçonnée tant l’intro de Savoure le Rouge impressionne. Surtout si l’on écoute Le Baiser juste avant, au son encore un peu froid et retenu par les productions eigthies, là la différence est stupéfiante avec cette éclosion d’une nouvelle musique, plus moderne, au timbre organique et chaleureux. La production gonflée, les chœurs sur le refrain et le rythme grouillant sont autant d’éléments qui caractérisent cette chanson, parfaitement taillée pour être un excellent tube si les radios y avaient prêté un tant soit peu attention. Quel gâchis ! Reste alors à Indo de vanter les mérites de ce lead single sur scène, en ouverture sur la tournée qui suivit avant de n’apparaître qu’occasionnellement dans les setlists. Une réinterprétation remarquable à souligner demeure celle donnée au cours des deux concerts du 24 janvier 2004 à Bruxelles et au Grand Rex à Paris (surnommé pour l’occasion le Grand Sexe par Nicola!), puis de façon presque isolée lors d’une ou deux dates du Meteor Tour en 2009. Les guitares y garnissent les couplets de notes ciselées et les refrains s’envolent encore un peu plus haut, le tout dans une noirceur rougeâtre qui baignait alors les salles de concerts.

Le clip est à son tour une petite merveille ! Réalisé par Marc Caro (qui avait déjà signé les Tzars), il commence par un gros plan sur la poitrine d’une femme gigantesque et -un tantinet- vulgaire, puis la caméra recule pour entamer un long travelling à travers de nombreuses cellules aux couleurs steampunk où se déroulent d’étranges expériences scientifiques… Si la démarche est osée le clip n’a rien de kitsch, bien au contraire, l’esthétisme initial de la chanson y trouve son rendu graphique idéal. Pour un clip français et pour l’époque, la qualité des effets spéciaux est remarquable, et parallèlement le charme goth qui s’en dégage est aussi très avant-gardiste. Du Paradize avant l’heure, qui aura enfin le mérite de faire tourner quelques têtes (le making-of est passé sur une grande chaîne nationale).

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Fini les 45 tours, Savoure le Rouge est le premier single d’Indo à sortir en CD 2 titres. En face B, pardon en deuxième plage, se trouve un second extrait de l’album baptisé Crystal Song Telegram, qui aborde un tout autre sujet…

C’est aussi le début des CD singles promotionnels, et celui de Savoure le Rouge a reçu un soin exceptionnel. Le CD (qui ne contient qu’une piste, cette fois) est rangé dans un emballage en carton recyclé, accompagné par quatre photos en papier glacé venant du shooting effectué pour l’album, voyez plutôt. Cette pièce de collection est évidemment rare, tout comme le single commercial et plus encore la K7 single, distribués en exemplaires limités du fait de l’absence de popularité du groupe à l’époque.

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La famille au complet : CD promo, CD commerce et K7 single !