7000 Danses – Album

Les marécages

Avec le succès de l’album 3 et la tournée triomphale qui s’en est suivie, Indochine devient un groupe incontournable. Du succès grandissant vient l’admiration, mais aussi la méfiance d’une presse qui n’hésitera pas à attaquer le moindre faux pas. Qu’importe, le groupe souffle un peu, Nicola voyage et prend des notes sur un carnet. Si l’avenir s’annonce plus sombre, autant en jouer : la pochette affiche des corbeaux sur fond noir. Ambiance sauvage pour quatre garçons qui ont encore beaucoup à dire, envers et contre tout. Le succès est toujours là, bien que les ventes soient moins criantes que pour l’album précédent, mais le public répond bien présent. Indochine triomphe dans ses concerts du tour 88, avec une expérience au Pérou aussi chaotique qu’historique.

3 marquait une évolution par rapport à L’Aventurier et au Péril Jaune. Il est admirable qu’Indo ne s’en soit pas contenté et franchisse bien au contraire un nouveau pas encore. 7000 Danses impose en effet quelque chose de nouveau, une nouvelle marque de maturité encore jamais vue, plus rock et moins sucrée (exit la boîte à rythmes!) qui rend la démarche osée car rien ne garantissait alors que le public entame le pas avec lui. Dominik offre une identité musicale forte à l’album, une couleur profonde, sur laquelle Nicola pose le résultat de ses escapades. Le résultat insuffle une envie d’espace, de méditation, et la chanson éponyme 7000 Danses nous la fait ressentir du fond de ses entrailles. Cette chanson est formidable ! Un véritable tableau à lui seul ! Le vent soufflant dans la forêt, la nuit qui s’enfonce dans les marais, les oiseaux seules ombres en mouvement… oui, il y a de quoi envoûter l’âme ! Le texte est stupéfiant de poésie, et cette mélodie envolée, paramétrée à la perfection… du grand art !

Dans une autre mesure, l’émouvante Une Maison Perdue… laisse une image tout aussi pittoresque, mais plus humaine, moins sauvage. Glissant sur une musique presque cristalline, les paroles cheminent avec émotion, dessinant un portrait un peu flou, figé par le temps, abandonné sauf par le voyageur qui y trouve refuge pour lui et ses pensées perdues. Ces séjours dans les marais, l’introduction instrumentale La Bûddha Affaire et son clip y prédisposent. On est encore en ville mais on sent qu’Indo veut nous emmener quelque part. Le criant lead single Les Tzars traite d’autres pays aussi, à sa manière, avec une vision politique plutôt animée ! Le très dynamique Les Citadelles et les deux autres singles prouvent une nouvelle fois le talent de Dominik mais Stéphane livre lui aussi une composition intéressante, Un Grand Carnaval, plus convaincante que le Train Sauvage de l’album précédent. Nicola y pose un texte joueur sur les beaux discours de nos amis politiciens, ceux qui interviennent par exemple tous les sept ans (cinq aujourd’hui). C’est la faune d’un autre genre de marécage, aussi dangereux mais moins authentique. Le voyage s’en ressent aussi sur l’intro de La Machine à Rattraper le Temps, où les synthés reproduisent les effluves de ces jungles d’un autre monde, comme si les boys nous emmenaient avec eux aux confins des Caraïbes.

7000 Danses, c’est plusieurs choses à la fois. C’est une cabane en bois qui sert de refuge, une étape sauvage entre deux opus citadins, un regorgement d’espace prêtant à plus de poésie, un renouvellement de musique et d’inspiration, et le moyen pour Indochine de prouver qu’il est capable de tout cela à la fois. S’il demeure un groupe viable aujourd’hui, c’est aussi parce qu’il a su, à un moment décisif de sa carrière, tracer une ligne novatrice, à la fois tellement différente et tellement eux. Prouver qu’il est maître de son art.

L’album sort en 1987 en vinyle, K7 et CD. Selon les pressages, les contenus diffèrent quelque peu avec notamment des durées variables qui ne correspondent pas toujours à la durée réelle des chansons ! A ce propos, les chansons sont plutôt longues, et nécessiteront d’être raccourcies pour sortir en single. La Chevauchée des Champs de Blé, en particulier, est métamorphosée dans sa conversion sur 45 tours !

La remastérisation 2015 est un exemple de choix technique qui déborde sur la direction artistique. En voulant donner un son plus chaud aux chansons de 7000 Danses, certains titres gagnent en tonus ce qu’ils perdent en subtilité, ainsi 7000 Danses et Une Maison Perdue se voient déchus de ce son cristallin qui les caractérise tant. De plus, d’étranges cut sont imposés : La Chevauchée des Champs de Blé perd sa sublime introduction au piano pour enchaîner directement sur les couplets et Les Tzars a carrément été coupé avant la fin ! Des négligences qui portent bien préjudice à cette édition 2015, aussi vous conseillé-je de vous remettre autant que possible aux éditions originales !