La roue cosmique

Le Black City Tour est à ce jour la plus longue tournée d’Indochine, étalée sur trois actes en salles, surplombée par un double Stade de France inoubliable, écumant au passage quelques festivals, le Centre Bell du Québec, le Sheperd’s Bush Empire de Londres, puis s’offrant une véritable tournée européenne l’année suivante avant de revenir sur des festivals francophones l’année suivante encore. On imagine mal qu’une période de scène puisse être plus longue encore, et ce même pour promouvoir un album à succès public comme 13… cela tombe bien, car le 13 Tour sera réellement plus court que son prédécesseur. Mais il n’en sera pas moins spectaculaire, loin s’en faut, et l’étonnant « serpent » du BCT, qui était déjà une révolution technologique en soi, sera troqué par la « soucoupe » ou encore le « monstre », un ahurissant dispositif de projection installé au plafond de toutes les salles traversées par la tournée. A l’image du serpent, ce plafond aura en plus le don d’être utilisé à bon escient, servant avant tout de support pour illustrer la mise en scène du concert et non de voler la vedette à celui-ci, mais nous y reviendrons plus tard.

C’est lors d’un 1er mai 2017 ensoleillé qu’Indochine enflamme la toile avec une vidéo-teaser où le logo de 13 s’affiche au grand jour. Semaine après semaine des infos nous parviennent, des premières notes de La Vie est Belle à la date du 9 juin qui sera sans surprise le coup d’envoi de la période 13. C’est aussi à cette date qu’est annoncé le 13 Tour, s’annonçant d’ores et déjà spectaculaire. L’autre grand rendez-vous à retenir est bien entendu le 8 septembre suivant, date de la sortie de l’album, où Indochine reviendra sur le plateau de Quotidien pour jouer en direct pas moins de six nouvelles chansons. Un deuxième concert promotionnel ne manquera pas d’attirer l’attention, au Trianon le 26 octobre, avec Asia Argento en invitée sur Gloria et Requin Chagrin en première partie qui ne se contentera que d’un titre mais il s’agit là aussi d’un prélude : le groupe jouera avant Indo sur près de la moitié des concerts de la tournée. Ce concert n’est pas seulement un acte promotionnel destinée à la diffusion TV (via l’émission Alcaline sur France 2 le 19 décembre), c’est bien sûr un test pour des titres qui n’ont pas encore fait leurs preuves sur scène, ce qui bien entendu ne sera plus une inquiétude passé cette soirée raflant tous les suffrages. Accessoirement, c’est aussi l’ultime concert où Nicola apparaîtra avec son iconique chevelure noire, car lors de la première du 13 Tour à Epernay ce très froid 10 février 2018, le chanteur affichera son nouveau look de blond platine, une surprise parmi bien d’autres en cette grande première. J’aimerais cependant m’attarder sur les trois dates suivantes. Il s’agit de l’AccorHôtels Arena de Bercy, et c’est dans cette salle historique que le 13 Tour va montrer toute son ampleur avec une surface de projection doublée (1700 m² au lieu de 850 pour toutes les autres salles). De base, ce dispositif était déjà impressionnant, mais à Bercy il se montre tout bonnement ahurissant : l’ensemble de l’enceinte est dominé par ce plafond concentrique, avec une bande circulaire supplémentaire à laquelle le spectacle parvient pourtant à s’adapter. Voilà de quoi offrir une intro inoubliable dans le cosmos avec Black Sky, voyage interplanétaire où toute la salle devenue planétarium semble embarquer dans une fresque galactique quand la fusée traverse le plafond de cristal inspiré par celui du palais de Tokyo, déjà visible sur l’affiche de la tournée. Station 13 impressionnera à son tour, pas seulement pour ses couleurs rétrofuturistes bien choisies mais aussi pour l’efficacité de son refrain instrumental où toutes les mains frappent en rythme. Alice & June et Miss Paramount n’ont plus rien à prouver de leur côté, mais elles feront l’objet d’une alternance dans la setlist, fait rare quand ces deux indéboulonnables ont jusque maintenant toujours cohabité. La Vie est Belle est sans étonnement un émouvant passage du concert, avec de simples lumières blanches pour éclairer le public qui reprend en chœur le refrain, public que Nicola pourfendra sur le sempiternel Tes Yeux Noirs qu’on ne présente plus. Si cette première vague de concerts allant jusqu’au 25 mai 2018 ne la variera que trop peu, cette setlist, elle sera l’occasion d’entendre deux titres de 13 eux-mêmes en alternance avant de connaître la quasi-extinction : TomBoy et Suffragettes BB. Le set acoustique fait enfin passer J’ai Demandé à la Lune en son sein, ainsi qu’un Electrastar qu’on appréciera néanmoins plus dans sa parure rock que quand Nicola l’interprète seul à la guitare.

Pendant ce temps, les singles s’enchaîneront avec un succès remarquable, ne serait-ce qu’Un Eté Français qui a réellement marqué les esprits avec son refrain solide et son clip au sommet de la tour de la Défense. Cela nous rappelle un hiver terriblement froid, loin des festivals de l’été 2018 où l’on subira la chaleur nancéenne le 23 juin pour un concert au Zénith en plein air, avec Dream Girl et Hollysiz en amuse-bouche. A noter que Cécile Cassel officia déjà en première partie d’Indo lors du second Black City Concert au Stade de France en 2014. Point de pluie cette fois fort heureusement, mais un talent toujours au rendez-vous pour stimuler le public d’Indochine, quand Dream Girl présenta trois ados à la fibre punk issue de l’initiative de Nicola pour promouvoir le rock féminin avec l’album Girls Don’t Cry. Cette chaleureuse soirée à Nancy ouvre brillamment cette période de festivals et augure même la Deuxième Vague du 13 Tour avec le retour de Ceremonia en intro, mais aussi une première pour Trump le Monde, bonus agréablement rock de l’album où l’image rougeoyante fait rayonner des crânes moins mortuaires qu’ironiques. Anticiper les concerts de l’automne c’est aussi enrichir la partie acoustique avec trois titres de la vieille période : La Chevauchée des Champs de Blé (une première depuis 2007 !), Kao Bang et le plus classique Salômbo. Les festivals feront aussi naître sur scène La 13ème Vague et renaître Little Dolls, alors absent jusque-là du 13 Tour. Passé la période estivale, Song for a Dream sort en single, la réédition de 13 est officialisée, Nicola révèle l’inédit Sophie et Souris lors d’une expo de Sophie Calle et 3ème Sexe se découvre une nouvelle version lors d’une soirée dédiée à Jean-Paul Gauthier, qui intègrera du reste la setlist pour la seconde partie de la tournée.

La Deuxième Vague est plus courte mais plus intense que la précédente. Le groupe apporte enfin un vent de fraicheur dans la liste des chansons jouées, avec l’arrivée surprise de Rose Song, La Machine à Rattraper le Temps dans le Club 13 (en lieu et place d’une des deux itérations de Kill Nico clairement de trop) ou encore du très attendu Cartagène. Pas sûr que cela était prévu, mais le groupe a dû retenir l’efficacité de Ceremonia pour en faire une seconde introduction précédant le festif 2033 et le stratosphérique Henry Darger. Cette série de concerts s’arrêtera une nouvelle fois à Bercy pour trois nouvelles dates, dont la seconde (Bercy V, en l’occurrence) sera retransmise en direct sur TMC. Asia Argento y honore l’auditoire de sa présence pour un duo endiablé sur Gloria, quitte à répéter le second refrain pour que la chanson ait le temps de dérouler sa superbe mise en scène où Nicola contemple Asia à travers le gigantesque hublot dans une contre-plongée partagée avec le public. De l’album précédent, College Boy s’impose comme le dernier indéboulonnable et surtout le représentant de Black City Parade pour cette tournée. L’Aventurier, enfin, nous achèvera à son tour d’une intro immersive où l’on approche inexorablement d’un astre stellaire qui semble nous aspirer, trois minutes durant. Comme à son habitude le royal gimmick de Boris se fait sur le même temps qu’une explosion de couleurs et de lumières à travers l’enceinte de l’Arena. Lors de la dernière date à Amnéville (encore l’Est !) dans le froid de l’hiver 2018/2019 comme aime le rappeler le clip de Kimono Dans l’Ambulance et sa neige du crépuscule, le groupe réchauffe les cœurs et fait monter sur scène l’équipe technique, un beau geste pour remercier des techniciens sans lesquels un tel spectacle n’aurait pu être possible. Il faut dire qu’oser un tel dispositif n’était pas gagné, et on n’ose imaginer la bataille menée par Nicola pour convaincre le tourneur de tenter une mise en scène aussi audacieuse. Rappelons-nous, en 2013, que Live Nation fut la seule société à accepter de tourner Indochine malgré une ambition scénique au moins similaire. C’est peut-être la raison pour laquelle l’ultime date de la tournée, teasée début 2019 pour annoncer un concert final au stade Pierre Mauroy de Lille, se fera sans aucun tourneur : c’est la société de Nicola même qui financera la Dernière Vague du 13 Tour.

D’abord un 22, puis un 06, puis un 19… un semblant de date enflamme les réseaux sociaux jusqu’à l’annonce de cette dernière date, rapidement doublée avec l’annonce que la seconde date sera retransmise en direct sur Youtube. C’est pourtant la première date qui sera la plus intéressante, et pour cause : Nicola y fêtera ses 60 ans ! Impossible de passer à côté d’une telle date d’anniversaire, et la petite idée pour la célébrer a tout d’une grande. Sur le set acoustique, habituellement joué par le groupe avec quelques sommaires instruments, c’est l’Orchestre de la Garde Républicaine en personne qui sera invitée sur scène pour jouer quelques morceaux avec le groupe, dont Justine que l’on n’avait plus entendue depuis la tournée Alice & June. L’Orchestre prendra goût à jouer du Indo, au point de rejouer deux titres lors du défilé du 14 juillet suivant le concert et surtout de revenir trois ans plus tard pour le Central Tour. Un petit d’air d’Hanoï souffle sur l’enceinte du Stade Pierre Mauroy ce soir-là, malgré une configuration fermée telle une calzone, faisant rôtir un ardent public du Nord sous les coups d’un Dunkerque ravivé. C’est aussi le moment de filmer un public sous le charme, quand vient le final où Karma Girls fait scintiller le ciel d’un millier de larmes de joie. La fête se termine dans la chaleur d’une chaude nuit d’été et surtout d’un feu d’artifice quand le public regagne le perron du stade, au son de Starman de David Bowie pour se rapprocher une dernière fois des étoiles.

C’est la fin du 13 Tour, et il manque une tournée des clubs pour repartir une dernière petite fois sur les routes. La balade ne fera qu’un tour, début 2020, quand Indochine officiel annoncera vouloir fêter les vingt ans de la Coopérative de Mai de Clermont-Ferrand. On se consolera sur cette unique date, isolée mais ô combien précieuse à plus d’un titre puisque non content de laisser un peu de côté le grand public au profit de 1500 fans du cercle restreint, il s’agit aussi de la dernière festivité avant un long moment. C’était un 7 mars 2020, et au-dessus de cette période plane une sombre menace qui annulera les concerts les uns après les autres. Alors avant d’entrer dans un tunnel long de deux ans, apprécions une dernière fois les singles de 13, autour desquels surgiront de formidables surprises de setlist comme restaurées d’un lointain passé : Sur les Toits du Monde en intro, Morphine en acoustique, Juste Toi et Moi en électrique, Savoure le Rouge… et même Ultra S., une perle de rareté sur scène. On n’osait plus espérer ces titres tant ils se faisaient rare. Ce « 13 Club Tour », unique à plus d’un titre, met un point final à l’ère 13 sans même accompagner la sortie du live de la tournée comme il est de coutume, puisque Nicola en a curieusement décidé ainsi. Le Tour ne sera jamais gravé sur DVD/Blu-Ray, sous prétexte que le spectacle est trop difficile à filmer pour générer un témoin fidèle de ce que le public a vécu. Il faudra se contenter des deux concerts filmés, respectivement pour la TV et pour YouTube, ce qui demeure un passable lot de consolation.

Fort des singles à succès de l’album, de sa scénographie innovante et de ses avancées techniques, le 13 Tour a su impressionner plus encore que les précédentes tournées. Il est difficile de réaliser comment la production a pu rentrer dans ses frais avec des places à 40€ pour jouer un tel show. Qu’importe, le public a été gâté et celui-ci le rend bien à Indochine, dont la popularité semble encore gagner du terrain et conquérir presque toutes les générations. Le phénomène d’un public venant en famille ne cesse de surprendre, quand les anciennes générations viennent entendre 3 Nuits par Semaine, les moins anciennes Paradize et les dernières les singles de 13. A croire qu’il n’y a qu’un virus pour empêcher Indo de rassembler les foules…

Setlist