Treize oraisons
Indochine n’a jamais été superstitieux, mais jouer sur les chiffres est pourtant bien une coutume indochinoise, et quand vient le moment du treizième album le symbole numérique fait de nouveau loi. Ainsi l’album s’appellera 13, en prompte réminiscence au troisième album pour lequel le destin avait su donner ses faveurs. Et au delà du nom tout semble embrasser ce chiffre immémorial, de l’heure à laquelle les teasers inondent les réseaux sociaux du groupe (13:13) au nouveau logo qui semble combiner la sacro-sainte croix Paradize avec le chevauchement des chiffres 1 et 3. Ces mêmes teasers se donnent à cœur joie de faire languir les fans, à raison d’une vidéo par semaine à partir du 1er mai 2017, pour faire lentement émerger les premières notes d’un nouveau morceau… Le 8 juin sur le plateau de Quotidien, ces notes prennent la forme d’un nouveau titre, La Vie est Belle, une pièce synth/pop douce-amère (tant dans la musique que dans le sens) qui charme par la beauté de sa mélodie. Ce premier single est un grand succès, alors peut-être que oui, une fois encore, Indo a su faire tourner un chiffre fatidique en porte-bonheur…

L’écoute en avant-première dans les studios de RTL2, deux jours avant la sortie officielle de l’album le 8 septembre 2017, augure outre le succès que ce treizième opus les mérite, ces faveurs. Car au delà de s’être fixé l’honorable objectif de brasser les trois grandes décennies d’Indochine, c’est que le bougre a rempli son cahier des charges avec brio, tout en y insufflant de la nouveauté, de la solidité et même des prises de risque. C’est ainsi que Black Sky, surprenant à la découverte, s’avère être une pépite de composition : mid-tempo poétique et enivrant, le titre passe de nappes synthétiques mêlées au chant pénétrant de Nicola à un pont bardé de guitares acoustiques, le tout finissant sur le silence lyrique de notes de piano perdues dans l’espace. Difficile de décrire toutes les émotions qui nous traversent en écoutant ce morceau, si ce n’est qu’elles atteignent l’essentiel en se conformant à celles que l’on éprouverait en explorant le vide intersidéral. L’inspiration de Bowie plane sur ces compositions, lui le héros mort qui hante les paroles de la décapante Station 13. Cette boule grondante entraperçue dans le générique de fin de Black City Concerts se déploie rapidement en une redoutable piste dansante à tendance électro/new wave, délaissant complètement les guitares au profit de synthés rétro-futuristes. Et le pire c’est que ça marche : les sonorités ont l’efficacité d’un rouleau-compresseur en marche, invitant à la danse quasi-ininterrompue dans ces six minutes maîtrisées. Ça pourrait être répétitif mais ça ne l’est pas, tant la machine a été soigneusement huilée pour que rien ne passe à l’excès.
Des années 80 revisitées, oui, mais sans l’impression d’y revenir sous la dangereuse houlette de la nostalgie, et c’est là un énième écueil évité par Indochine. Il n’en reste finalement que le meilleur avec, dans ses exemples les plus probants, la stratosphérique Henry Darger. Armé d’un rythme à la Frankie Goes to Hollywood, ce titre composé par Nico, Oli et Marco honore l’œuvre de cet artiste américain à l’inspiration croisée avec le photographe Erwin Olaf qui signe le visuel de l’album : une armée de jeunes filles, portant glaives et drapeaux au nom d’une république alternative. Double propos (musical et textuel) prolongés par Suffragettes BB, cet électron portant haut le poing du mouvement féministe qui a anticipé le hashtag #metoo, le tout sur une musique cavalante et un texte signé Chloé Delaume. D’autres titres pop parcourent l’album tel le festif 2033 qui témoigne de l’amour intemporel et dans un registre diamétralement opposé, le sinistre Kimono Dans l’Ambulance qui ramène en Indochine le récit plongeant d’une victime des attentats de 2015, dont on vit l’inaltérable descente vers la mort malgré les efforts des aidants pour la maintenir en vie. On en ressent la fatalité, là à travers cette musique battante mais enclavée dans une structure trop linéaire pour espérer déjouer le sort.
Et les guitares, alors ? Il y en a, bien sûr, puisque rappelons-le 13 explore toutes les voies déjà empruntées par le groupe, et ce jusqu’à Dominik Nicolas. Et quand on entend le gimmick d’Un Eté Français, cela vire presque à l’hommage ! Puissante et résonnante comme une volée d’ondes, la guitare relance la chanson qui doit également sa réussite à un refrain implacable. Il en irait presque de même pour Song for a Dream, pièce pop/rock composée par Renaud Rebillaud. En parlant de collaborations réussies, 13 offre deux featuring probants dont TomBoy I, où le DJ queer Kiddy Smile apporte de la douceur à un texte dur et violent sur fond de transphobie. Un invité bienvenu donc pour ce titre mêlant électro et rock qui prône les droits des trans. Le deuxième c’est Gloria, où Asia Argento vient superposer sa voix à celle de Nicola pour jouer le couple uni face à l’éternité, ce couple qui a l’heureux sentiment d’avoir accompli son devoir quand la progéniture quitte le nid. Quant à Karma Girls, c’est le symbole de l’amitié féminine qui a également atteint son point de fusion. Sur un crescendo poignant aux accents hindous, Jean-Louis Murat délivre un texte Sirkissien dont on reconnaît les mêmes défauts : c’est navrant de simplicité, et pourtant terriblement touchant. La magie façon Indochine ?
Car oui les textes de ce treizième opus demandent un certain temps d’adaptation, comme si l’on ne savait pas déjà les méthodes de Nicola, les ficelles usées, les rimes opportunistes, les facilités toutes trouvées… Et puis la machine à rêve fait son œuvre, presque insolemment, comme si les hymnes pouvaient tout se permettre parce que, finalement, ça passe. Qui s’en préoccupe, quand un joyau de création comme Cartagène nous emmène dans son sillage, jusque là-haut dans les airs, quand de l’atmosphère steampunk où s’animent la machine et les vapeurs nous voguons vers l’insidieuse ivresse, cette euphorie qui nous électrise pour la vie, et dans les ultimes notes de piano et les murmures de Nicola, on se rappelle pourquoi on aime ce groupe.
Les éditions limitées sont bien là pour fournir quelques bonus comme il est devenu de coutume. Sans atteindre le niveau d’un Salomé pour l’album précédent, ces deux titres ajoutés sont dignes d’intérêt, en particulier Trump le Monde qui surprend avec son improbable alternance reggae/électropunk ! Dingue, mais vrai ! Le second bonus est d’un tout autre genre, il en est même son pendant opposé : La 13ème Vague est trop quelconque pour être digne de figurer sur l’album. Le CD bonus offre également TomBoy II sans Kiddy Smile, une version de Station 13 avec l’intro live ainsi que quatre remixes de bonne facture.
Outre le digisleeve s’ajoutant aux douze précédents (sortis deux semaine auparavant), 13 jouit d’une jolie édition digipack avec le second CD, cette même édition étant comprise dans la traditionnelle box. Il existe deux éditions du vinyle 33T, le classique et le moins classique où les disques sont gris et translucides. Plus limité encore, 13 se décline en K7 audio (une première depuis Paradize) fournie avec son walkman attitré ! Enfin, l’album est réédité le 16 novembre 2018 en deux versions, incluant entre autres les versions instrumentales, des extraits live, un DVD des clips et même une carte dédicacée par le groupe dans les 500 premiers exemplaires distribués.
Comme souvent avec l’Indo dernière mouture (comprendre à partir de Paradize), c’est vraiment le temps qui me fait appréhender différemment chaque nouvel album. Un an après sa sortie, je serai peut-être un peu moins dure avec celui-ci. « 13 » malgré des longueurs évidentes et certaines redites recèle quelques pépites (« Black Sky, Cartagène, la Vie est belle, Un été français…). Les featuring à mon sens n’apporte vraiment rien, mais les textes de Sirkis qui par leur simplicité touchent à l’essentiel et sa voix font toujours leur petit effet.
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