Triumvirat

Quelle étrange compilation que voilà. Vous ne l’avez jamais vue en France ? C’est normal, elle a été vendue exclusivement au Pérou ! Véritable OVNI de la discographie officielle d’Indochine sortie en 1988, son existence est un des rouages historiques du succès d’Indo dans ce pays à l’autre bout du monde et il faut remonter encore deux ans en arrière pour bien en saisir les causes. Indochine lance sa tournée scandinave en 1986 et prend conscience du potentiel international de sa musique. L’album live Au Zénith s’en retrouve commercialisé bien au delà des frontières françaises et reçoit un accueil particulièrement chaleureux dans la plupart des pays, mais la sidération est plus grande encore quand des retours viennent d’outre-Atlantique ! C’est par l’intermédiaire de l’Espagne qu’un distributeur de musique péruvien, El Virrey, s’intéresse à la musique d’Indo, acheminant alors un 45 tours de 3ème Sexe qui parvient dans les cartons des stations de radio. C’est Doble Nueve qui sautera le pas, et un test de diffusion radio suffira à propulser le groupe français à la tête des ventes, au point de vendre plus de disques que Madonna à la même époque. Il est alors demandé que le prochain album, 7000 Danses, soit distribué au Pérou en même temps qu’en France pour contrer les pirates, sachant pertinemment que l’impatience de la jeunesse péruvienne ne pouvait être contenue. S’ensuit la venue d’Indochine au Pérou qui marquera à jamais les dizaines de milliers de fans locaux, dont l’ardent désir de revoir le groupe ne se démentira jamais même trente ans après… Fou !

Mais il manque encore un chaînon à cette machinerie indo-péruvienne… Eh oui, les trois premiers albums n’ont jamais été commercialisés là-bas. Rien de surprenant dans les faits, il n’est pas attendu qu’un artiste jeune, chantant dans sa langue et ayant du succès dans son pays touche un écho auprès d’un public à plus de 10’000 kilomètres de chez lui. Pour combler le vide et surtout réagir au marché des enregistrements pirates grandissants, Ariola et El Virrey improvisent une compilation regroupant douze titres studio issus de L’Aventurier, Le Péril Jaune et 3. La France n’en verra jamais la couleur et il est même possible que le groupe n’en ait jamais entendu parler, en tout cas pas pendant sa conception. La compilation sera exclusivement commercialisée au Pérou. Voilà de quoi rattraper le temps perdu pour les fans péruviens qui auront pris malgré eux le train en marche, mais…

DrapeauPérou

Car il y a un mais : la liste des titres choisis est pour le moins étonnante. Pas d’Aventurier, de 3 Nuits par Semaine, de Miss Paramount ou de Kao Bang… mais des Pavillon Rouge, des Docteur Love et des Shangaï. Je ne renie bien sûr pas la qualité de ces morceaux mais ils ne sont clairement pas ceux que l’on s’attend à retrouver dans un best of ! Alors pourquoi ? Pourquoi renier les immenses tubes que l’on entend continuellement en radio en France au profit de titres mineurs ? Difficile d’en avoir la réponse dont seules sont détentrices les maisons de disques à l’initiative de cette étrange compilation, et même la pochette peut laisser à désirer. Pas de nom si ce n’est le logo d’Indochine, le tracklist négligemment plaqué au verso avec de nombreuses fautes de frappes et d’orthographe, et bon sang pourquoi le nom Indochine à l’envers ? Bref une curieuse manière de vanter Indochine dans un pays lointain même si le public est déjà acquis au moment de sa distribution. Le charme eighties en réchappera, au croisement de cette folle escapade péruvienne et de l’aventure indochinoise quelque peu sauvage en cette fin de décennie. C’est après tout bien ce qu’on retiendra de ce chapitre fou d’Indochine, impressionnant de par son envergure et son tumulte loin de nos canons occidentaux.

Fan Club Pérou

Aujourd’hui encore, bien des décennies après les années 80 et sans y avoir remis les pieds une seule fois, Indochine est très populaire au Pérou. La passion des fans de l’époque mais aussi de leur progéniture apparue depuis ne s’est jamais tarie et les plus disposés traverseront l’Atlantique à plusieurs reprises pour venir voir les concerts, il n’est alors pas rare de voir des drapeaux du pays dans le public (et les commentaires en espagnol sur Youtube)! Indochine, autant pour la pertinence de sa musique que par les circonstances qui ont rendu sa carrière atypique, aura touché hier et aujourd’hui le cœur des fans du monde.

La compilation sort sur deux supports : LP et K7. Sous la houlette d’El Virrey et en concertation avec Ariola, ce support commercial fait autant partie de la discographie d’Indochine qu’il se situe en marge de celle-ci, considérant la fragilité de sa conception. Il n’en reste pas moins que la compilation est distribuée à grande échelle au Pérou. Sans réédition toutefois, d’où l’absence d’édition CD, encore rare en France en 1988 alors au Pérou… Au moins désormais l’engrenage est complet, et les collectionneurs ont un véritable petit bout d’histoire d’Indo dans les mains.