Fantômes de minuit

Kimono Dans L’Ambulance est le troisième titre de 13 à rencontrer le public, après le lead single La Vie est Belle et l’extrait de Station 13 sur Youtube. C’est dans le même ordre d’idée que ce dernier que Kimono est mis en ligne le 4 août 2017, avec les premières notes et les premières paroles qui font monter l’excitation avant la sortie de l’album le mois suivant. La musique est proprement électro, paralytique après le dansant Station 13 révélé deux semaines plus tôt, et le texte plonge l’auditeur dans un climat inquiétant. L’apparent manque de subtilité des paroles a prêté à sourire, et il faut définitivement le titre entier pour permettre l’immersion et se rendre compte de la portée de cette œuvre qui n’en reste pas moins bien à part.

Après les attentats de Paris en 2015 et Nice l’année suivante, il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’un titre fasse le lien avec ces tristes événements. Mais le point de départ remonte à bien plus loin, quand Nicola extrait de son imaginaire la vision de ce qui se passe à l’intérieur d’une ambulance, et comme à son habitude les images prennent la forme de notes dans ses carnets. Des images de vie, de mort, de survie… avec ces vestes d’infirmiers parés comme des kimonos blancs. Une vision nébuleuse pour une scène pourtant bien concrète, empruntant le regard perdu d’un individu mortellement blessé qui ne comprend pas ce qui lui arrive car sonné par les événements, et qui dans les derniers instants de sa vie voit s’activer des soignants tentant de le réanimer. Le sauvetage s’articule autour d’un jargon presque trop précis pour être optimiste (ambulance, mercurochrome, ligature, eau oxygénée…), une écriture qui surprend de Nicola tant ceci semble loin de son vocabulaire, de sa poésie, mais le champ lexical d’ordre clinique donne une nouvelle immersion et accentue le terrible huis clos qu’il dresse autour de son macabre récit. Le leader est aussi à l’origine de la musique, et si elle n’est évidemment pas dansante, elle surprend tout de même par son rythme énergique et richement produit. La structure est cyclique, désespérément mis en boucle et avec ces battements obsédants, qui sonnent comme une longue défibrillation, une production artificielle d’énergie jusqu’à ce que le cœur reprenne un battement stable. La métaphore est bien là, musicalement menée avec maîtrise derrière son apparente facilité. D’autres idées parsèment ce pénible voyage de six minutes, avec bien sûr ce chant déformé des sirènes qui ouvrent le bal, la mélodie du pont central qui reste facilement en tête, le rythme qui devient plus décisif sur les derniers vers (« Tu me réanimeras mais tu n’y arriveras pas ») et enfin, ces étranges cris de fantômes qui annoncent la mort. Car oui, malgré les miracles qui naissent parfois, certains yeux ne s’ouvrent plus jamais.

Nicola veut mener son projet jusqu’au bout, et cela passe bien sûr par la vidéo. Un premier tournage démarre en novembre 2017 sur le plateau de l’Aubrac et l’on devine assez vite que ces images serviront à la projection vidéo pour le 13 Tour. Nicola dirige la caméra pour la troisième fois, après More et Un Ange à ma Table, et cette première session privilégie les plans sur les paysages que traverse une ambulance solitaire. Ces paysages, c’est l’un des points forts de la vidéo, qui s’offre là une esthétique léchée bien qu’encore incomplète à ce stade. Qu’importe, cela fera l’affaire pour la 1ère Vague de la tournée. En juin 2018 a lieu le deuxième temps de tournage, à Paris et enfin avec un casting : Diane Rouxel, Béatrice Dalle ou encore Benoist David, le chanteur du groupe Grand Blanc habitué aux premières parties de concert de la tournée. Les policiers présents à l’écran sont de vrais policiers, idem pour l’infirmière, et Nicola passe lui-même devant la caméra. Les yeux qui ne s’ouvrent plus jamais, ce sont d’ailleurs les siens, signe que personne n’est à l’abri et que tout le monde est égal face aux dangers de la vie et de la mort ? Les autres patients s’en sortent, non sans les efforts du corps médical, faisant plus doux équilibre des vies sauvées par rapport à celles qui s’éteignent. En concert, Nicola prend une posture fermée pour interpréter la chanson, mais profitera toujours de ce passage pour remercier les différents services publics (pompiers, policiers, médecins, infirmiers, etc.) qui rappellent à chaque crise combien ils sont indispensables. Une honorable preuve de respect envers tous ceux qui préservent la sécurité de tous, et l’on se rend compte que ce genre d’hommage n’est finalement pas si fréquent sur la scène artistique. Indo l’a fait.

Kimono Dans L’Ambulance n’est pas un single, loin de là, mais Nicola semble avoir tenu à faire de sa création un titre prépondérant de l’album 13. Le court-métrage (douze minutes) est pour la première fois disponible avec la réédition collector de l’album sorti le 16 novembre 2018, sur un DVD regroupant l’ensemble des clips de l’ère 13, mais l’exploitation de la vidéo ne s’arrête pas là. A l’instar de Station 13, le film est projeté en prélude du film Us de Jordan Peele dans les salles de cinéma CGR, dans la semaine du 20 au 26 mars 2019. Seules sont concernées les salles équipées de la technologie ICE, promettant une immersion visuelle totale avec une qualité 4K, une lumière adaptée et un son environnant. Pour les plus patients (ou ceux qui attendaient une version gratuite), le film est enfin disponible sur Youtube le mercredi 26 juin 2019, précédé d’une avant-première la veille sur le site Allociné. Un partenariat insolite mais qui fait poser à Nicola un premier pied dans le cercle fermé du cinéma.