La guerre froide

Dans la période charnière des années fin 80 début 90, être fan d’Indochine ne s’invente plus. Le cœur indochinois bat au rythme de l’entretien privilégié entre le groupe de plus en plus méprisé par la presse et son public à l’intérieur duquel se dessine un noyau indéfectible de fidèles. Et le privilège, cela passe par l’arrivée des inédits, ces petites pépites des sessions d’enregistrements du groupe oubliées par l’Histoire qui ne s’adressent qu’aux plus acharnés des fans, ceux désireux d’agrandir encore leur culture indochinoise au delà des chansons présentes sur les albums. C’est ainsi que naît le Collector 92, pressé à seulement 500 exemplaires numérotés pour le fan club du groupe (inutile de dire en quelle année, le nom est explicite). De par sa rareté, le disque est pratiquement inconnu du grand public d’Indo, du reste les biographies, officielles ou non, y font à peine mention. Pourtant cet EP est bel et bien un élément intégrant la discographie officielle du groupe et son contenu est loin d’être inintéressant…

En effet, il n’y a que des inédits dessus ! Le premier est le plus intéressant de tous puisqu’il s’agit d’une chanson rescapée des enregistrements studio de 7000 Danses : Paris Brûle-t-il ?, du nom du film et du livre sortis au milieu des années 60. Cette chanson de six minutes suscite les interrogations, à commencer par son absence sur l’album car le titre est indiscutablement de très bonne facture. Les talents de Dominique font encore des miracles sur cette tempête de guitares orchestrée d’une main de maître, nuancée par un ensemble de variations intéressantes menées par le saxo envolé de Dimitri et les touches de synthé distillées à des moments stratégiques. De cette chanson lyrique, la dernière minute recompose même la clé pour un final enlevé quitte à porter un peu haut les aigus de Nicola, rendant les paroles parfois peu compréhensibles mais qui s’accordent aux élans impulsifs de la musique. Son rejet de 7000 Danses est regrettable mais il permet néanmoins d’écouter cette chanson dans une version inaboutie, avec des problèmes de balance et une prise de voix « à l’arrache » qui font davantage penser à une démo plus qu’à un titre fini, et c’est après tout cela aussi qui la rend intéressante.

Les cinq autres pistes correspondent à des inédits live, certes de chansons déjà connues mais qui proviennent du Birthday Tour de 1992 dont on ne retrouve aucune trace audio sur aucun autre support discographique du groupe, d’où leur intérêt. La Guerre est Finie n’existe d’ailleurs en live que sur ce disque, dans une version proche du single en dehors de l’accordéon parti en impro. La Machine à Rattraper le Temps et More figurent quant à eux sur l’album live suivant (Radio Indochine), alors l’intérêt réside plutôt dans la situation chronologique de ces prestations live, soit après les années 80 et avant l’«Indochine 2.0» durant laquelle le groupe cherche à se parer d’une nouvelle identité sonore. Le son est en effet plus moderne, mais quelque peu monocorde, grisâtre, comme s’il se cherchait encore ; la faute à une tournée dont la production musicale s’avère plus faible qu’à l’accoutumée. Même le dernier album en date, Le Baiser, offrait une bien plus large texture sonore entre la fraîcheur de ses cordes envolées et la variété de ses instruments prêtant à des atmosphères mystiques. Nul besoin pour autant de le cacher à moins de vouloir effacer l’une des périodes live déjà bien inconnu du groupe. Quoi qu’il en soit, ces trois titres ont probablement été enregistrés au Transbordeur à Lyon le 25 mai 1992 et non pas en juin comme le stipule par erreur le feuillet intérieur. Ce n’est pas la seule faute présente d’ailleurs…

Quant aux deux dernières musiques, elles aventurent les néophytes sur des terrains plus connus puisqu’il s’agit de tubes. Canary Bay surtout, avec une intro inédite, et Des Fleurs pour Salinger dont l’enregistrement accorde ici de n’entendre que la partie finale, composée d’un pont musical endiablé et d’une ultime reprise du refrain. C’est peu, comme si l’on nous rappelait que le contenu du Collector 92 n’est qu’un bonus et qu’il faut se contenter de ce qui est proposé. On aurait été entendre davantage de ce festival de Colmar édition 92, événement annuel de l’Est au cours de l’antique et traditionnelle Foire aux Vins avec ses visiteurs de tous bords et ses festivaliers itinérants. Indo y entretient une histoire de longue date, avec une première itération en 1983 puis de passages très réguliers à partir de l’an 2000. Sur une scène tant de fois foulée vibrent encore les arcs d’un amphithéâtre au doux son d’une fidélité remerciée. Celle des fans est honorée par un dernier baiser avant d’entamer un sixième album exposé à de plus âpres vents, qui promet néanmoins sa survie quelle qu’en sera l’adversité.

Du fait de son histoire, du faible nombre d’exemplaires distribués, de sa conception « artisanale » (les numéros étaient notés à la main) et de son contenu exclusif, le Collector 92 est une pièce de collection pour le moins très convoitée aujourd’hui. Il existe toutefois des exemplaires non-numérotés qui auraient été vendus lors de la première partie du Wax Tour et enfin, quelques autres se seraient échoués dans un stock écoulé grâce au minitel 3615 INDO en 1994-95.