Champs de combats

Nicola et Oli ont l’habitude de travailler leurs maquettes dans une grande maison en Normandie, au centre d’un complexe appartenant à Luc Besson. Or, lors de la phase de composition d’Alice & June en 2005, le grand écran du salon passait aléatoirement des films dont Le Jour le plus Long, projection historique sur le débarquement du 6 juin 1944. Les prémices du futur album. Mais les premières heures du onzième opus sont encore floues, et en pleine phase de composition le groupe repart en concert pour promouvoir le live d’A&J Tour. L’idée arrive plus tard, quand Nicola découvre une expo de Sophie Calle sur sa lettre de rupture rendue publique, inspirant l’idée de la douleur de la séparation. Parallèlement, il lit plusieurs lettres de poilus, ces soldats engagés dans la Grande Guerre malgré eux. Le tout concorde avec une phase de difficultés que rencontre Nicola dans sa vie personnelle, toutes proportions gardées, dans un élan d’émotions communes que le chanteur veut poser sur papier puis en chanson. Ainsi naît La République des Meteors.

INDOCHINE
Du studio au Stade de France, il ne reste plus qu’un Meteor Tour

Les chansons de cet album sont venues en vrac, comme des météores qui frapperaient au hasard sur les champs. Oli s’essaye à divers instruments, comme le toy piano ou l’accordéon, qui trouveront une petite place au milieu des guitares. Mais l’équipe est lessivée par les innombrables péripéties de l’Alice & June Tour et les premiers accords mettent du temps à venir. Et dans ce vrac, dépourvu même d’idées de départ, des sons naissent et se mélangent, créant d’autres sons à force de tests et d’alchimie et les chansons finissent par dépasser le stade embryonnaire. Elles sonnent finalement assez pop, délaissant quelque peu la virulence d’Alice & June pour emprunter la voie d’un pop/rock débridé. Go Rimbaud, Go donne le ton et délivre un rythme d’enfer sur batterie vitaminée et couches électro rugissantes, de quoi promettre des intros de concert détonantes ! Le texte décousu est co-écrit par Suzanne Combeaud, qui interprète une partie d’Un Ange à ma Table, duo à la structure originale où la séparation est vécue du côté de la femme. Pour rester sur les titres dynamiques, Republika déchaîne un refrain fracassant et éparpille des sons de cloches qui sonnent comme un contre-appel à la guerre et aux fédérations bâties sur l’hypocrisie. Le thème guerrier est bien souvent implacable, aussi fort que l’horreur suscitée par les rafales de balles, et évolue parfois en chant de résignation comme dans Le Grand Soir, réceptacle des diverses expérimentations d’Oli comme l’ukulélé et l’accordéon ! Il invoque parmi les nombreuses aberrations de la Grande Guerre celle du soldat conduit à tuer un autre de vingt ans, quand il a vingt ans lui-même. Vision déplorée d’une fraternité détruite. Et pendant que l’enfer se répand sur terre, d’autres viennent en amoureux rencontrer l’éternité au fond du Lac, sur un rythme aussi romantique qu’enveloppant.

Nicola voulait que cet album soit bouleversant. Il ne peut que l’être tant l’empathie s’exerce avec force sur la vie et la mort de ces soldats qui avaient notre âge ; ou qui vivaient des émotions transposables à toutes les époques, comme le père disant adieu à son fils dans l’espoir qu’il sera fier de lui dans les lignes de La Lettre de Métal. La musique abandonne temporairement la pop battante pour une musique poignante au son de l’enfance. Union War est quant à elle la voix de tous les soldats, emportés dans une spirale cinglante avec sa mélodie qui nous serre dans son étreinte. D’autres titres se départissent du thème central de l’album bien qu’un lien puisse toujours être fait, comme le décapant Play Boy ou Junior Song, sorte de fanfare maudite baignée dans l’ambiance austère du pensionnat. L World est une chanson puisant très directement dans le thème de la séparation, comme celle à venir dans Bye Bye Valentine quand le père voit sa fille grandir et regarder hors du nid. Je T’Aime Tant est une reprise d’Elli et Jacno chantée avec Peggy et Gwen, l’ex de Nicola. Une autre « ex-fan » intervient sur cet album, Chloé Delaume, arborant un texte fataliste sur Les Aubes sont Mortes. Enfin, si Little Dolls résume les affres de la guerre en une chanson, Le Dernier Jour lui est son pendant inverse, inspiré par la fin du conflit qui s’avère être plutôt heureuse pour Paris et malheureuse pour Berlin. Une piste cachée sur la plage du Dernier Jour se nomme Tom et Jerry, qui sont les surnoms donnés dans l’intimité de Nicola où se cultive l’inséparable, l’indicible lien que le destin scelle au delà de toutes les raisons.

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L’esthétisme de l’album est extrêmement soigné et étudié, sur la pochette évoquant l’idée de vrac comme sur le livret, tous deux signés par la talentueuse graphiste Peggy M. dont l’application mérite qu’on l’admire. Et parce que cet album est le fruit d’un travail très abouti, l’édition limitée propose un second CD avec deux inédits intéressants, We Are The Young et Mexican Syndicate, inspirés par d’autres formes de guerre…

L’album sort le 9 mars 2009. Outre l’édition simple plastique aux bords arrondis, La République existe en digipack limité et en box deluxe éditée à 18’000 exemplaires contenant des lithographies des membres du groupe, un pop-up aux reprenant la pochette, un poster augurant le concert au Stade de France et un single promo de Little Dolls (différent de celui envoyé aux radios). Une première depuis Dancetaria, l’album sort également en vinyle. Six ans plus tard le tout ressort sous Indochine Records en divers supports.

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Editions 33T, Box Deluxe, CD jewel case, digipack et digisleeve