Trop jeunes pour un monde trop vieux

Le début des années 90 est marqué par de nombreux conflits internationaux, qu’il s’agisse de la guerre du Golfe ou des nombreuses guerres civiles, en outre déjà mentionnées dans l’album Le Baiser. La chanson la plus emblématique d’Un Jour dans notre Vie qui donne son nom à l’album replace la jeunesse impuissante dans cette société houleuse où les bombes détonent autour d’elle et rendent plus incertain que jamais son avenir mais renforce d’autre part sa détermination à utiliser ses propres armes pour défendre ses idéaux. Voilà le monde d’aujourd’hui, celui dans lequel on vit, qui donne envie d’utiliser son révolver au milieu de ce marasme.

Un Jour dans notre Vie est la chanson qui a donné son nom à l’album, traduction presque littérale d’A Day in the Life des Beatles. Ce second single aurait pu être un grand tube si on lui avait prêté de l’attention, et qui aurait pu avoir de l’écho dans l’actualité secouée de cette époque. Car c’est bien là la voix de la jeunesse, qui désire appartenir au monde en même temps qu’il s’en indigne quand il est dominé par la guerre, l’exclusion et l’hypocrisie. Le parallèle est parfait avec ce que vit le groupe à ce moment-là, un trio qui survit et se bat malgré un impitoyable snobisme médiatique et une critique injuste. Alors Nicola chante sa détermination qu’on lui connaît si bien, l’envie profonde de se battre contre la perversité du monde et d’en enfreindre les règles qui à en affronter volontiers les conséquences, ce qui se matérialise dans l’esprit comme une relique sacrée. La musique très percutante porte avec ferveur le cri revendicatif de la chanson, propulsé par les guitares carabinées de Dominik et de Stéphane qui se répondent l’une l’autre avec une inflexible énergie. Le clip sensiblement plus terre-à-terre que le précédent tire parti de sa simplicité pour exposer la crue vérité, des images de guerre extraites des journaux télévisés mêlées à celles des manifestations pour la paix, témoins quelque peu anti-américanistes dans un contexte très nineties et la guerre en Irak début 2000 en reconfirmera le message. En début de vidéo, Stéphane sort un révolver et tire sur l’écran de télévision, geste métaphorique pensé comme une jeunesse qui aurait bien envie de tout foutre en l’air. Les trois boys chantent à l’unisson leur cri de revendication, portés par des valeurs dont on espère, peut-être naïvement, qu’elles influenceront l’avenir et feront le monde de demain. Cette vision guerrière de l’actualité sera reconduite sur la thématique de la République des Meteors ou encore pour la rétrospective des 40 ans du groupe puisque d’un même modus operandi, Indo remet en évidence les crises traversées par le genre humain dont la guerre est l’un des vices les plus proéminents.

Etrangement beaucoup de tournées ont zappé cette chanson pourtant symbolique à l’égard d’Indochine et surtout de son public. Elle lui est néanmoins dédié lors de son retour en piano-voix sur le Meteor Club Tour et sur la tournée suivante, pour tous ceux qui suivent le groupe depuis trente ans, depuis dix ans, depuis cinq ans, depuis hier ou même depuis demain… scande alors Nicola sur une tendre ouverture au piano jouée par Oli. Un Jour dans notre Vie est sans doute l’une des chansons du répertoire d’Indo qui se prête le mieux à l’exercice, sa parure intime et ses orfèvres d’espoir résonnent tangiblement sur les quelques notes d’un piano propulsé par la voix alors vieillissante mais aussi riche en sensibilité de son auteur. Parmi les plus beaux essais, mentionnons la bouleversante interprétation du quatuor à cordes lors du concert anniversaire du 29 septembre 2021 ou encore l’année précédente, sur le toit de la Tour Montparnasse. Le single a offert à ses quelques heureux acheteurs un inédit, Petit Jésus, chanson courte et mobilisant un orchestre restreint fait de cordes et de percussions contenues. Le minimalisme n’enlève rien à la pertinence de ce très beau titre à l’ambiance délicieusement intime, à la résonance bouleversante et à la mélodie qui mine de rien entre facilement en tête. Le texte y a des allures de prières émanant d’une brebis égarée qui implore le réconfort. Joué sur les deux tournées suivantes (plus qu’UJDNV, c’est dire), son habillage acoustique se prête aux Nuits Intimes en 2000 pour cet inédit qui figure parmi les rares à être joués en concert. Quant au single, y inclure un inédit prouve que le groupe n’en a pas fini et a encore des choses à dire et à mettre en musique. Ils sont trop jeunes pour faire cesser le rêve.

Le single est encore plus rare que ne l’était déjà celui de Savoure le Rouge, la faute à une distribution à très faible échelle lors de sa sortie début 1994. Négligence regrettable pour ce remarquable objet aux couleurs proprement superbes avec ce bleu vif tiré du style graphique du livret. Comme l’indique la pochette, le single contient en plus l’inédit Petit Jésus, rappelant au passage que celui-ci ne vient pas originellement du médiocre best of Génération Indochine comme pensé à tort, et une version dub instrumentale d’Un Jour dans notre Vie en piste cachée bien que suggérée, qui constitue un bonus plutôt sympathique. Existe aussi une K7 single avec un contenu similaire.

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