Trésor de guerre
Marc Barrière, homme à tour faire du rock de l’époque, ouvre le Rose Bonbon en 1977, un club parisien qui va devenir le lieu de naissance médiatique de bien des artistes. En 1981, il reçoit Dimitri Bodiansky, le préposé au démarchage d’Indo qui lui fait écouter quatre chansons enregistrées sur un magnétophone. C’est peu mais suffisant pour convaincre Barrière de jouer dans son club ! Indochine, armé de quelques créations et de deux reprises bien senties, saisit alors sa chance d’attirer l’attention des producteurs présents dans la salle pendant les représentations. Ainsi le 29 septembre 1981 voit le plus grand groupe de rock français faire ses premiers pas sur scène…

Mais quel genre de public assiste à ces concerts donnés par des groupes encore inconnus dans les sous-sols de Paris ? Il y a bien sûr ces producteurs et ces rock critics, des professionnels désireux de voir se façonner le visage de la scène post-punk des années 70, mais aussi des passionnés du genre, de la musique en général ou bien encore les membres de la famille du quatuor (la famille de Dimitri serait nombreuse)! Indo est encore un trio, accompagné dans l’ombre par un Stéphane Sirkis qui assiste le groupe en maniant les séquences et la boîte à rythme. Le groupe dans cette première date n’est payé qu’en boissons, mais la possibilité de se faire découvrir par des maisons de disques et celle de pouvoir effectuer d’autres dates sont des compensations de taille. Cinq dates seront assurées au total, et l’une d’elles sera enregistrée sur la table de mixage à l’initiative de Dominik. Ce bootleg (nom donné aux enregistrements « pirates » de concerts) est une archive inestimable ! Témoin auditif de ses premiers concerts, il est un résultat brut et authentique de la prestation d’un groupe encore naissant, avec « la maladresse des débutants mais le charme de ceux qui ont déjà tout compris ».
Les boys ont travaillé leur set pour que le concert soit raisonnablement long. Aux quatre titres dans la poche de Dimitri pour vanter les mérites du groupe s’ajoutent un panel de nouveaux morceaux, sans n’avoir encore aucune idée de ce que deviendront ces compositions à l’avenir. L’une d’entre elles n’en aura aucun, La Dernière Fille avant la Guerre, relique perdue dans les affres de l’histoire dont on ne retrouvera trace que dans ce bootleg. Rockabilly dans sa construction, elle alterne entre les ondes graves de la guitare de Dom et le saxo dynamique de Dimitri qui tient là une grande place. Ce travail sur les harmonies signé par le duo créatif d’Indo assure clairement le potentiel de la formation. Le nom de cette chanson oubliée perdurera à travers le livre de Chloé Delaume, consacré à sa passion pour le groupe, qui en reprend l’intitulé. Pour revenir au live, celui-ci débute par un premier appel de Nicola au public comme il saura si bien le faire tout au long de sa carrière. « Bonbonsoir », hèle-t-il avec une désinvolture déjà bien affichée, et c’est là que l’on découvre que le premier concert d’Indochine commence par un jeu de mots. La plupart des morceaux seront retravaillés et immortalisés sur le premier album, dont L’Aventurier qui loin de sa version définitive n’avait pas encore son illustre refrain ! Imaginons là l’effet procuré par ce gimmick de guitare encore inconnu résonner dans ce sous-sol, bien avant de déferler bien plus tard sur toutes les ondes françaises. Dizzidence Politik est également de la partie, assez proche de sa version 45 tours qui sera le premier support discographique à sortir. Indochine « Les 7 Jours de Pékin » est le premier titre du set et malgré un rendu un tantinet cacophonique, il parvient à séduire d’emblée le public présent dans la salle. Plus étonnant dans la setlist, la présence de certaines chansons… du Péril Jaune ! Tonkin, Shangaï et Razzia (complètement méconnaissable dans cette version!) devront attendre le second album pour voir le jour en version studio, ce qui renforce l’idée de diptyque entre les deux disques. Le concert se termine par deux reprises : L’Opportuniste survivra bien au delà du concert tandis qu’Un Eléphant me Regarde (La Fumée dans les Yeux) d’Antoine ne tiendra que dans les premières tournées du groupe. Un destin bien différent mais qui met en relief les riches détails de l’évolution discographique d’un groupe naissant. Quoi qu’il en soit, cette première performance scénique permettra à Indochine de se faire remarquer par Didier Guinochet, patron de Clemence Melody…
Sacrée époque que celle du passage d’Indo au Rose Bonbon ! Le groupe fait preuve d’une fraîcheur et d’une spontanéité qui épatent encore aujourd’hui, et tout était bon à prendre tant l’énergie du jeune trio donnait matière à créer, à danser, à chanter… des vertus bien en phase avec cette décennie créatrice. Les producteurs qui prendront Indo sous leur aile l’ont bien compris, avec des intentions plus ou moins honnêtes mais à qui Nicola, Dimitri et Dominik doivent leur notoriété. Car ensuite tout va très vite… Le 45 tours de Dizzidence Politik en février 1982, la glorifiante première partie de Depeche Mode au Palace le 2 avril où Stéphane rejoint définitivement le groupe, le premier passage télé en juin lors de l’émission musicale « L’Echo des Bananes » sur FR3 (pour y jouer Dizzidence, donc), le premier album en novembre, puis le gigantesque succès du single de L’Aventurier en été 1983 grâce auquel Indochine accède à la lumière médiatique. Nul doute que le quatuor n’oubliera jamais ces premiers instants au Rose Bonbon, et l’enregistrement de Dom offre ce luxe d’en garder une trace immortelle pour nous autres, son public qui n’en a jamais assez…
C’est vrai que ce bootleg est une véritable pépite. Pour peu, on chausserait nos Creepers. Il est bien difficile de résister à la fraicheur juvénile du trio. J’adore toutes ces petites imperfections qui font du groupe une belle entité vivante et sincère. La version de Leila avec la guitare de Dom et la puissance synthétique est superbe !
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Indochine « le plus grand groupe de rock français », euuuuh…… ; )
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D’un point de vue succès et longévité, oui 🙂
Les autres notions sont bien entendu plus subjectives !
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Excellente synthèse de cette période. Tout est bien dit et bien écrit et bien documenté. Et surtout quelle aubaine d’avoir pu avoir à disposition ce boots. Etant un vieux briscard d’Indo (37 ans au compteur, sans interruption), ce concert je ne l’ai connu qu’au début des années 2000 lors d’échange de boots par internet avec un site dont je n’ai plus le nom en tête.
Il faut savoir que les boîtes à rythmes et les sons qui passaient sur bande ne courraient pas les rues au début des années 80 en France. C’était plutôt grosse guitare, basse et batterie.
Indo était un groupe branché et Dizzidence et Françoise étaient des morceaux hyper appréciés.
Certes pour les jeunes qui ont pris Indo à partir des derniers albums, cette période fait dater. Mais pour moi c’est ma madeleine de Proust. On a pleins d’inédits, des reprises, et de versions primaires de chansons qui seront remanièes fin 1983.
En à peine 2 ans, Indo est passé du statut de groupe Underground et branché, et un groupe populaire fort de 2 albums.
J’aimerai bien que Nicola Sirkis puisse le sortir de manière officielle pour les 40 ans du groupe (mais reniant particulièrement toute la période avec Domnik), je pense qu’il ne le fera pas.
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