Mauvaise nouvelle

Justine est le cinquième single de Dancetaria, sorti au beau milieu de la tournée acoustique Une Nuit Intime avec Indochine (le 14 novembre 2000 pour être précis). Impossible dans ces conditions de ne se contenter que de la version album, belle au demeurant, mais qui ne traduit pas tout à fait l’état d’esprit du moment. Le groupe a momentanément mis ses guitares électriques et son synthé au placard pour se livrer à l’exercice des concerts minimalistes, avec une poignée de fans et quelques guitares sèches. La Roxanne d’Indochine endosse alors un double rôle dans cette période de transition, où au delà de l’habituelle promotion de Dancetaria elle constitue un avant-goût prometteur du prochain album live dédié aux Nuits Intimes. Coup de projecteur sur un titre embrassant l’une des facettes les plus significatives d’Indochine.

Justine a toute sa place dans Dancetaria, influencée par la mouvance glam gothique amorcée par le groupe, mais le texte prend d’abord ses racines dans l’une des nouvelles écrites par Nicola l’année précédente. La narration s’établit à travers le dialogue téléphonique de Justine, une petite fille tendrement naïve, aux frères qui se font la guerre et au père absent, n’ayant pour seule référence que sa mère qui danse pour des hommes. De l’autre côté, un homme mystérieux est assis dans un couloir plongé dans l’obscurité, qui écoute Justine et rêve du temps de l’innocence que personnifie sa jeune interlocutrice. La relation apparaît malsaine, mais simplement écouter ce que vit la petite fille devient rapidement la préoccupation du narrateur et par conséquent, du lecteur. L’histoire n’en est plus tellement macabre, mais apparaît juste teintée d’une douce candeur mêlée à de la mélancolie, avec cette touche d’amertume que l’on sait persistante dans l’œuvre générale de Nicola. Ces caractéristiques se déclinent sur les onze autres nouvelles qui reflètent autrement que par la musique l’univers de leur illustre auteur. Mais revenons-y, à la musique, avec ce morceau éponyme racontant d’une certaine façon la même histoire. Celui-ci raconte les déboires d’une jeune prostituée perdue entre la résignation et l’espoir qu’un « prince charmant » l’enlèvera de son sort. Une thématique simple d’apparence mais le texte croise habilement des niveaux de noirceurs, mais aussi des rapports entre la réalité et la rêverie quand s’opposent des images de néons rouges avec celui du beau prince envoyé par les fées. Et c’est bien ainsi que Nicola raconte son texte, comme un conte de fées, et à l’instar de Salômbo la sexualité féminine semble parée d’un voile habité par d’élégantes métaphores. Les figures de styles semblables à l’euphémisme vont bon train pour illustrer ce poème, rappelant la maîtrise de Nicola dans son domaine et quand il excelle ainsi dans son élément, rien ne saurait remettre en question la pertinence de son art.

Le single fait démonstration du changement de style opéré sur une chanson, ici Justine, qui est introduit par une superbe ritournelle au piano dans la version acoustique. L’instrumentation est un régal avec les épaisseurs de guitares sèches et la batterie version cheap, qui procurent de nouvelles sensations à l’écoute. Plus authentiques, peut-être. En prélude à l’album, deux autres morceaux sont inclus dans le Maxi CD, Salômbo (ça ne s’invente pas) et La Colline des Roses, qui se découvrent une seconde vie et offrent un résultat séduisant, surtout quand on n’est pas habitué à cette formule. Cet enregistrement a eu lieu au studio Davout à Paris le 12 septembre 2000, deux mois avant la captation de Nuits Intimes. Le disque se termine sur deux remixes d’Oli, dont l’un n’est pas mentionné sur le tracklist. Le Red Night Mix inspire une ambiance plus feutrée que l’original et propose un renouveau intéressant de la musique. Quant au Z Mix, il relève le tempo en respectant tant bien que mal l’esprit de la chanson.

Studio

Justine est un des premiers morceaux d’Indo à être animé d’une vidéo live, élevant aux yeux du public une jeune fille boudeuse qui enroule ses cheveux au bout de ses doigts. Si jeune quand le titre intègre le Dancetaria Tour, le morceau se redécouvre déjà avec son pendant acoustique. La formule brille de mille feux, et l’on se demande si ce n’est pas simplement Justine qui a inspiré la pochette de Nuits Intimes ! Le thème de l’ennui au féminin ne pouvait pas non plus passer à côté d’Alice & June, dont la tournée en 2006/2007 reprend le titre durant son set acoustique sur à peu près tous les concerts. Couplée aux paroles de Révolution, le thème croisé du déchirement familial ne pouvait également mieux trouver sa place. Plus inattendu, le titre revient le jour des 60 ans de Nicola, le 22 juin 2019 au stade Pierre Mauroy de Lille pour une interprétation aux côtés de l’orchestre de la Garde Républicaine. L’idée est excellente et atteint des sommets d’élégance, au même titre que la chaleureuse interprétation symphonique à Hanoï, quand bien même il n’en demeure que les cuivres. A toutes les sauces Justine peut être mangée, cela marche toujours et témoigne de la maîtrise musicale de ce single de Dancetaria. Et à chaque fois oui, les mots de Nicola savent trouver leur place, tant dans la douceur vibrante d’une partition que dans les pages d’un recueil de nouvelles, et leur direction est bien la même quelle que soit la formation employée.

Il existe deux éditions du single. Le plus courant est le Maxi CD, présenté dans un boîtier épais type album, et contient pas moins de six titres : la chanson en double version, Salômbo et La Colline des Roses et enfin les deux remixes. A noter que la version album est ici amputée de son intro élaborée par oLi dE SaT. La seconde édition, plus rare, est un CD 2 titres avec les deux versions de Justine.