Un angle dans la lumière

En 2004, c’est la sortie de 3.6.3. A cette occasion le groupe enchaîne deux concerts la même journée, à 18 heures en Belgique puis au Grand Rex à Paris à 23 heures. S’ensuit un ultime concert dans le cadre des Europe 2 live avant le début d’une pause méritée. L’occasion est idéale pour sortir une nouvelle compilation qui témoignerait du parcours improbable d’Indochine jusque là, et outre une réédition du Birthday Album à l’intérêt limité, une idée de meilleure facture a donné naissance à une compilation de clips pour la première fois en DVD.

Parce que quitte à retracer la carrière du groupe, autant le faire en vidéo, qui parle encore plus aux mémoires que la seule base audio et auquel le support du clip apporte un complément solide. Si Nicola a plusieurs fois manifesté son désintérêt pour la discipline du clip, il est communément admis que transposer la musique d’un artiste en support vidéo permet de compléter son message. Et Indochine s’y est toujours prêté, avec plus ou moins de réussite, entre les clips des années 80 où la musique a bien mieux vieilli que les images, mais après tout n’est-ce pas un témoin privilégié d’une époque qui délivre de nouveaux standards ? Et les années ultérieures où les progrès techniques et l’affinage du style Indo apporte quelques beaux atours. Pour un groupe qui a souvent basé sa créativité sur l’image artistique, le clip c’est important. Cette théorie se vérifie beaucoup sur la période Paradize d’ailleurs, où le travail de Peggy M. a grandement aidé à véhiculer l’identité du groupe à travers les clips de Mao Boy, Le Grand Secret et Marilyn.
Et c’est là qu’on se dit que les années 80… pfiou, ça a pris un coup de vieux ! Les clips y paraissent cruellement kitsch, à commencer par L’Aventurier qui bave dans une débauche de couleurs criardes et d’effets spéciaux quelque peu grotesques. Mais c’est l’époque, et l’énergie de la nouveauté est là, c’est tout ce qui compte. Seul le regard en arrière rend la vidéo désuète, encore qu’on lui trouve aujourd’hui une force de caractère, une fraîcheur indéfectible. Même punition pour bon nombre de clips qui suivront : Miss Paramount et 3ème Sexe en tête. Au-delà de ça de ces considérations de façade, retracer l’histoire du groupe ici dans sa dimension vidéo a toujours ce quelque chose d’émouvant et entre l’ensemble des propos qui s’enchaînent, on se délecte toujours du cri de colère sur Les Tzars et celui d’espoir d’Un Jour dans notre Vie, qui tous deux ne perdent rien de la substance de leur revendication des décennies plus tard.

Parler des clips c’est l’opportunité de parler de ceux dont je ne pourrais parler autrement, alors allons-y : il y a d’abord La Bûddha Affaire, l’ouverture instrumentale de 7000 Danses. Cette musique surprend, même à l’époque, tant la démarche est originale. La musique entièrement signée Dominik Nicolas s’adonne à une palette de sons cristallins emmenés par un synthétiseur flottant et une mélodie virtuose que les hautes sphères de la musique classique ne renieraient pas. Le clip emmène justement le groupe et quelques autres musiciens dans un grand salon fait de marbre et de poussière que la musique se hasarde à éveiller au risque de détruire quelques meubles environnants. Cette démonstration est tout à fait unique dans la carrière d’Indo, quoique moins dans l’univers de l’album où le mot d’ordre était le renouveau artistique, inspiré et élégant. Un autre clip dont il est intéressant de parler est celui de More, chanson privée de sortie single en dépit d’une sortie vidéo. Son existence s’explique par le temps offert à Nicola de développer l’imagerie de l’album en l’absence de tournée chronophage. L’action alterne entre les membres du groupe en pleine séance photo (dont l’une servira de pochette pour le Collector 92) et les frères Sirkis errant au bord de la Seine. De superbes images sur un effet sépia de toute beauté, pour une chanson faisant le parallèle entre la souffrance de l’amour et celle de la drogue.

Les clips s’enchaînent et ne se ressemblent pas, à la fois empreints d’une identité individuelle et collective, et participant tous à la construction de l’imagerie du groupe. Savoure le Rouge a esquissé la silhouette de l’Indochine moderne avec sa teinte gothique doublé d’une ambiance steampunk inédit pour le groupe même encore aujourd’hui, Kissing My Song la touche romantique contre vents et marées, Drugstar y a remis la jeunesse comme ligne de conduite, Stef II lui a conféré une inébranlable énergie rock dansante où le masculin et le féminin s’entremêlent toujours un peu plus et enfin, Paradize et ses clips un brin subversifs, aboutissement ultime d’un esprit rock parvenu au terme de sa quête. La compilation datant de 2004, la liste s’arrête à Electrastar et Popstitute dans leur version live de 3.6.3, alors dernières vidéos promues en date. Techniquement, les clips continueront de se moderniser avec la généralisation du 16/9 à partir de Crash Me et la HD native avec Memoria.

Parlons de Kao Bang, dont peut-être vous témoignez l’absence sur l’exemplaire de votre DVD. Un premier pressage sort le disque dans une édition standard (en boîtier plastique) et limité (dans un carton avec poster). Mais Christophe Sirkis s’oppose à l’utilisation du clip de Kao Bang dont il est l’auteur, forçant la maison de disques à sortir un second pressage sans le clip, une fois encore en standard et limité. D’où le total de quatre versions du DVD. Ceux-ci ont évidemment vieilli, le support étant désuet aujourd’hui et le groupe semble s’être mis en phase avec la tendance moderne de simplement publier les vidéos sur Youtube aujourd’hui. Conduite pertinente au demeurant, les supports vidéo n’ayant plus la cote et le streaming offrant de nombreux avantages tels que la prise en charge de la HD et du 4K, l’ultra-accessibilité à l’heure des écrans omniprésents et la facilité des mises à jour en ligne, en témoigne le remaster en HD des clips à partir de Paradize début 2020.