Légendes du bout du monde
Chanson culte et culturelle composée à l’époque de 3, Salômbo a traversé les décennies aux côtés de ses contemporains du même album. S’il y en a d’ailleurs bien une qui a fait vibrer Hanoï ces deux soirs de juin 2006, c’est bien elle, Salômbo, cette fille qui porte sur ses épaules le mythe des pays de l’Extrême-Orient dont elle incarne un croisement spirituel. Pas étonnant qu’elle ait eu un écho particulier là-bas, quand un orchestre a joué sa mélodie sur les terres qui ont inspiré son éclosion.

Salômbo constituait une réminiscence riche en symboles à l’heure où le troisième l’album s’éloignait des sources d’inspiration de ses deux prédécesseurs. Car en plus d’impliquer les thèmes du sexe et de la jeunesse qui sont communs à tout l’album, Salômbo est le seul titre à revenir de l’autre côté de la Terre pour aborder ces sujets, tout en y ajoutant une nouvelle vision, une dimension religieuse. Pas de héros de bande dessinée ici, ni de récits épiques, l’auteur s’intéresse cette fois à la culture religieuse et spirituelle que lui suggèrent des amis passionnés par l’Inde et l’Afghanistan, pays à dominante musulmane, et le résultat confère un mélange mystique. Pour compléter le tableau, le groupe se met en chasse de sons ethniques, qui font la longue et soignée intro de la chanson. Le personnage, irréel, apparaît comme une incarnation du croisement des cultures, des religions et des croyances de l’Asie multiethnique tel un bouquet de fleurs lointaines qui rassembleraient le monde. Parallèlement, l’évocation de la « fleur sacrée » est une des premières mentions de la découverte du sexe (assimilé ici au temple dont la métaphore sert de liant entre le sexe et la religion). Le thème est devenu une ritournelle que Wax en particulier aura perpétué sans peut-être même s’en être rendu compte. La cohabitation du sexe et de la religion rappelle quant à elle un autre album qu’il me semble inutile de nommer…

En parlant de perpétuer, Salômbo est une chanson presque indissociable des sets acoustiques d’Indochine. Le Dancetaria Tour a commencé cette tradition, suivi du Paradize et de l’A&J Tour. Nuits Intimes signait pour sa part une version au timbre spécifique à ces concerts, et le tour 88 proposait une intro superbement enrichie depuis la version initiale. Régulière aussi sur le Meteor Tour, Salômbo fera un nouveau crochet en seconde partie du 13 Tour, comme si une place lui était toujours dédiée. Trop peut-être, mais c’est le lot de toutes les valeurs sûres. Le concert d’Hanoï combine tous ces atouts musicaux pour le meilleur des résultats. A l’intro mélancolique succèdent les notes enchanteresses du piano fredonnant la mélodie de Dominik, et la magie du nouveau et de l’ancien opère, là sur les terres qui l’ont vu naître, ou du moins là où son auteur a puisé son inspiration. Une belle histoire pour une belle chanson très indochinoise dans son concept qui n’aura eu de cesse de voyager entre deux pays.
Salômbo aura attendu 20 ans pour sortir en single, bien qu’il ne soit qu’un promo destiné aux radios. C’est toujours ça, et c’est un moindre mal pour faire parler d’Hanoï auprès du grand public français. La pochette est une alternative à celle de l’album live, et le titre est quasiment identique si ce n’est les applaudissements des premières secondes qui ont été éclipsées grâce à un procédé bien efficace. Salômbo ne bénéficiera d’aucun clip, existant avant tout et surtout pour la scène, laissant son visage à l’imaginaire du public déjà bien familier avec cette part d’Indochine : les évocations festives de Karma Girls, géopolitiques de Vietnam Glam, sociales de Traffic Girl ou encore fabuleuses de Leila en sont les témoins à travers le temps. Elles sont elles aussi le reflet poétique d’un monde où s’agite sans fin une humanité livrée à elle-même, envers et contre tout, par le prisme de sa naissance pure et innocente.

Quelle que soit l’orchestration choisie depuis 1985 par le groupe, ce titre demeure pour moi l’un de mes préférés. J’ai toujours un petit faible pour les versions de 1988 qui avec leur intro magique sont les plus fortes. C’est bien ici encore une fois toute la puissance attractive et mélodique de Dominik qui rayonne. Sirkis avait écrit cette chanson en réaction des comportements et de la tenue irrespectueuse de touristes qu’il avait pu constater dans des édifices religieux lors d’un périple en Asie pré « 3 ». Ceci l’avait choqué. J’aime bien la façon de Sirkis qui de ce coup de gueule réussit à développer un imaginaire ambiguë où les lectures du sens de ses mots sont multiples. La version de 2006 a effectivement une haute teneur émotionnelle.
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