L’autel du mensonge

L’album d’où est extrait Sur les Toits du Monde tient définitivement une place spéciale dans la carrière d’Indochine, et plus encore dans celle de son leader. Si Le Baiser relevait d’une maturité témoignant du passage des membres d’Indo à la trentaine, ce nouvel opus revient sur les terres de l’adolescence encore hésitante, fébrile, avant que Wax n’engage un nouveau démarrage sur ce thème affectionné par Nicola. Un Jour dans notre Vie subsiste d’une place fébrile entre les deux, coincé entre les influences et les interrogations qui inévitablement tourmentent une vie d’artiste turbulent. C’est le crépuscule de l’Indochine 1.0, d’où les démons d’une jeunesse mouvementée s’envolent pour inviter ceux de l’adolescence qui s’interroge devant la croisée des chemins. Quelle est la voie à emprunter pour une vieille bande d’où crépite le feu d’une éternelle fougue juvénile ? Nicola, lui, le sait.

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Avez-vous déjà eu cette sensation, en regardant par votre fenêtre et en assistant à la vue qui s’offre à vous, d’ignorer quoi faire entre prendre une place dans le monde qui vous entoure ou en casser tous les codes ? Nicola l’a probablement eue, souvent même, en tout cas il en pose la réflexion sur les mesures de cette chanson. C’est une sorte de méditation, un sanctuaire pour celui qui n’a pas fini de grandir. C’est à la fois l’atout et l’ombre indétachable de cette fameuse période de la vie où rien n’est acquis, pas même la certitude de vivre, d’où cette rime fatale entre rire et mourir. Mais c’est d’abord le prologue qui témoigne de ce malaise et de cette défiance vis-à-vis du monde, perdu dans la corruption et la duperie où l’on n’ose entrevoir un avenir auquel la jeunesse devra pourtant un jour à l’autre prendre part. Alors en attendant de pouvoir, peut-être un jour, agir fidèle à ses idéaux nés dans la fleur de l’âge, un adolescent plein de rêves griffonne des mots sur d’innombrables feuilles de papier dans sa chambre, voguant à des humeurs encrées sur des pages encore trop blanches. A l’aube d’un pénible nouveau jour, ou dans l’intime embrasement solaire d’un soir indien, il jette parfois un regard à travers sa fenêtre qui donne sur le jour, où des chats de gouttière écoulent ceux de leurs neuf vies sur les toits de tuiles brûlantes. Arf, cette chanson me rend poète…

Ces paroles peuvent être aisément incomprises, elles sont formulées sur des sentiments précis qui parleront à ceux qui les vivent déjà, ce qui peut constitue une marque d’identité pour les fans d’Indochine. Un fan arrivé pendant Paradize, ou même Black City Parade, pourra totalement y adhérer pourvu qu’il s’y reconnaisse. Il ne faut cependant pas nier que la musique de Dominique joue dans la force du message. Le prologue sonne comme un souffle d’espoir mêlé à de la nonchalance, puis la musique se met en marche avec l’envie d’affirmer son soi et ses idées. Cela a déjà été dit à propos de l’album, mais le son est incroyablement moderne compte tenu de l’époque, d’une production clinquante qui donnent une agréable ampleur à la composition de Dominique. Celle-ci propulse la chanson au moyen d’un formidable gimmick à la guitare constituant du reste le refrain du titre et c’est même sur son obsédante boucle que la chanson se termine, laissant échapper un dernier souffle tandis que les vibrations se dispersent. A terme, l’alchimie des deux composantes du message (paroles et musique) donne l’une des plus belles chansons d’Indochine.

Sur les Toits du Monde est jouée en de rares occasions et pourtant, c’est le titre qui est jusqu’à présent le plus joué de son album ! C’est un électron libre, voguant dans les setlists de ces chaudes soirées où l’émotion et l’âme du rock fusionnent, parfois avec l’intro remaniée, parfois non, et par moments avec des allonges en fin d’interprétation comme sur le Live Tour (1998) et l’Indo Tour (1999). Paradize procure une version plus enflammée propre à la fougue d’oLi De SaT, où la mélopée du préambule semble réellement brûler comme le feu de la jeunesse, et c’est beau à entendre. D’aucuns diraient que c’est un massacre que cette obsession de Nicola de vouloir verser un peu plus Indochine dans le trash, mais moi je trouve que ces arrangements subliment la chanson. Les grattes puissantes et volontairement sales donnent du corps à une œuvre qui a toujours été un cri du cœur, c’est pourquoi je trouve que cette forme lui va comme un charme. Et si le Dernier Petit Tour d’Alice & June et le Meteor Club Tour ampute l’intro au profit d’une entrée directe à la batterie, le feu n’est jamais éteint tant que les guitares se déchaînent. La chanson reprendra ensuite vie à l’aube des 40 ans du groupe en 2020, en intro du concert à la Coopérative de Mai de Clermont-Ferrand pour les 20 ans de la salle. Voilà bien ce qu’on aime dans le rock, dans Indochine et ses concerts en club où souvent seuls des fans chevronnés du groupe composent la salle. Pour être sûr que la chanson trouve son bon écho, peut-être.

76-Verso
Verso du single promo

Un single promo a été distribué en quelques exemplaires pour certains pays fin 93, comportant la chanson amputée de la première minute d’introduction. Le verso indique d’ailleurs la durée de l’édition album (5:01) mais a été barrée à la main. En outre, il est possible d’entendre une version live datant d’Une Nuit dans votre Ville sur le single Live 94-95 (aux côtés de 3ème Sexe), la chanson étant absente de la setlist du concert de Spa où l’album live avait été enregistré.