Message au crépuscule

1998. C’est la période charnière pour Indochine, la plus importante de toutes. La santé de Stéphane se dégrade salement tandis que le groupe cherche un label indépendant, loin des maisons de disques aux mécaniques douteuses. Celui-ci trouvé, l’album rentre en phase d’écriture durant l’été, les frères Sirkis toujours aux commandes… Comme un étrange coup du sort, les chansons prennent vite une teinte sombre, émouvante, avec cette tendance goth grandissante, bien avant l’événement tragique qui leur a donné tout leur sens. Stéphane meurt le 27 février 1999, en plein enregistrement de l’album. Coup de grâce tragique d’une décennie difficile. La mort d’un frère, qui est aussi le « départ » d’un nouveau membre du groupe original, oblige Nicola rendu seul à devoir prendre une grande décision, quelle qu’elle soit. Mais les chansons que les frères ont composées sont trop belles pour ne pas les sortir. Dancetaria sera rendu public, avec juste le report nécessaire pour éviter une médiatisation morbide.

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Nicola seul ? Pas tant que ça…

Dancetaria est le successeur spirituel de Wax, suite logique dans cette trilogie pensée par Nicola dont ce nouvel album est le deuxième composant. L’adolescence est achevée, le passage à l’âge adulte s’amorce et avec lui tout le spectre romantique de ce nouveau début de vie. Avec Dancetaria un jardin noir comme la nuit s’ouvre à nous, et nous invite à le rejoindre comme on s’enfonce dans les bois. La question est de savoir si on le fait seul, ou non…

Le disque s’ouvre avec le titre éponyme, et on sait en l’écoutant que oui, le groupe est encore monté d’un cran dans l’orientation musicale emprunté. Dancetaria est stupéfiant à tous points de vue, avec sa boîte a musique qui donne l’impression d’être envoûtée, et d’être envoûtante à son tour, suivi par un orchestre à cordes de plus en plus sinistre à mesure que la piste avance, la voix spectrale de Nicola aidant. Arrivé à son paroxysme, le groupe prend le relais, déployant guitares et batterie pour un mélange musical tout à fait unique en son genre. Passé cette ouverture hors norme, Juste Toi et Moi, sorti en single deux mois plus tôt, fait la part belle aux guitares britpop avec ce parfum d’Oasis dont l’influence est évidente. Ce romantisme noir s’étend à d’autres chansons de l’album, comme à la fabuleuse Rose Song, qui conte les pensées d’un jeune homme rêvant d’emmener la fille qu’il aime au pied d’un royaume au bord de la mer. Vision follement romantique mais jamais naïve, car la formule marche. Oli n’est sans doute pas étranger à cette réussite, c’est lui qui retouche la production de la chanson et son travail plaisant à Nicola, il est conduit à arranger 80% de l’album ! L’intro de Justine, pas de doute, c’est lui !

22-Stef & Nico

Mais les compositions de Stéphane sont sans nul doute les pièces les plus poignantes de l’album, et pas seulement en raison des circonstances. Atomic Sky émeut par la qualité de sa mélodie et She Night est à ce propos la composition la plus éblouissante de toutes, arrangé avec l’orchestre de Dancetaria et aboutie par un texte plein de sens où d’une histoire à deux le narrateur doit accepter de continuer seul.

Mais Dancetaria ne manque pas non de disperser des chansons plus légères, et aussi plus rock tant qu’à faire. Stef II est appelé à être le second single, Manifesto (Les Divisions de la Joie) est la passade new wave qui crache sur l’impérialisme américain, Venus est l’OVNI qui abandonne la fleur sacrée au profit d’un « Masturbe-moi » sous les vents qui grésillent… Astroboy est le résultat de l’influence de Gwen sur Nicola, avec cette touche manga bien années 90. Les deux titres qui terminent l’album sont plus intimes et paraissent plus anecdotiques, mais confirment à leur manière le propos de Dancetaria, comme pour reconfirmer une image qui ne sera jamais assez précise. Le Message pose le mot de la fin avec une séquence cachée un peu nébuleuse. Le leitmotiv de l’album, façonné de mains de maîtres avant d’être conduit par le destin.

22-Singles
Les singles de Dancetaria

Une première depuis Le Baiser, Dancetaria a droit à une édition limitée à 20’000 exemplaires, identifiable à une pochette en carton mat contrairement à la version standard, vive et brillante. Le digisleeve remastérisé sorti en 2017 complique encore un peu plus la tâche ! Une autre première aussi, toujours depuis Le Baiser, l’album sort en vinyle, édition très recherchée par les collectionneurs pour sa rareté (à ne pas confondre non plus avec le nouveau LP sorti en 2016). Très rare aussi, l’existence d’un Mini-disc, format inventé par Sony qui n’a pas rencontré de succès en Europe.

22-Supports
Edition limitée à gauche, standard à droite