Sidéral

L’Inde, à l’équinoxe du printemps. C’est la Holi, célèbre fête hindoue des couleurs qui inonde la terre de pigments jusqu’à tapisser le monde de ses plus belles peintures. Le violet, le bleu, le vert, le jaune, l’orange et le rouge se répandent aux moyens de gerbes de poudre et de litres d’eau, sans oublier les sourires, la danse et la musique qui durent aux plus belles heures de la nuit. Et au milieu de cette allégresse, ici dans l’harmonie des sons et des cœurs, deux petites Indiennes courent et jouent, émerveillées par le spectacle qui se donne tout autour d’elles. Tout est beau, presque trop vrai, même quand se déchire un éclat divin dans la voûte sombre de la nuit d’où surgit le dieu Ganesh, dessiné par de seuls traits de lumière. Voici la divinité suprême, paraissant telle une bannière qui symbolise la bienveillance et la sérénité, et de son œil protecteur le dieu à tête d’éléphant bénit les deux filles, leur faisant promettre de veiller à leur tour l’une sur l’autre et ainsi leur destin les unirait jusqu’à la mort.

La Vie est Belle, Un Eté Français et Song for a Dream ont été de grands succès radio, propulsant 13 au rang des meilleures ventes 2018 avec un score phénoménal de 470’000 exemplaires vendus ! De nos jours, ce chiffre est réellement énorme et l’on se demande si à ce stade de l’exploitation un cinquième single peut élever encore un peu plus son opus au sommet. En fait, les singles tardifs sortent plutôt pour le plaisir, à compléter plutôt qu’à suppléer, et éventuellement à tenter le dernier coup d’éclat en fin d’une liste d’acquis. Et cette place de cinquième single, ce sont deux titres qui se la disputent. Tout à fait adaptés l’un et l’autre, on se demande tout de même si Gloria ne devait pas être l’heureux élu, ceci avant que l’actualité ne viennent rattraper la sulfureuse Asia Argento et compromettre le projet. Ne resteront alors qu’un joli clip et une version italienne immortalisés sur DVD. On ne saura peut-être jamais la vérité, mais toujours est-il que Karma Girls s’offre une voie royale vers la succession réelle de Song for a Dream. Avec une officialisation en début d’année 2019, quand le 13 Tour prépare sa Dernière Vague.

Fait amusant, 13 suit les pas de Paradize avec l’ordre de sortie de ses singles : le premier était écrit par Mickael Furnon, le dernier par Jean-Louis Murat. Mais si Un Singe en Hiver offrait un texte d’une incroyable finesse, l’outsider de la chanson française propose des paroles d’un tout autre genre pour Karma Girls, que l’on pourrait aisément définir comme celui de Nicola. La plume de Murat passe cette fois pour un étonnant pastiche, avec ses manies (termes « je » et « toi » répétés à outrance, rimes en « a » et en « i » presque systématiques, termes purement empruntés au vocabulaire indochinois…) mais aussi sa force : celle d’évoquer des images puissantes en quelques mots, plaçant l’amitié féminine comme un phénomène de l’univers et survivant à travers la vie et la mort. Car oui Karma Girls est une chanson sur l’amitié, à travers une allégorie osée mais efficace qui expriment l’amour entre deux êtres jusque dans sa fusion la plus totale. Il rappelle que l’amitié est une forme d’amour, parfois plus subtile et donc plus riche, et même plus inébranlable tant il peut survivre aux épreuves de la distance et du temps qui passe. Peu mentionné en musique, ce sentiment est pourtant source de richesses, là où la relation amoureuse est depuis bien longtemps galvaudée. Karma Girls nous épargne cet écueil et nourrit dans son propos la chaleur qui anime deux filles qui se connaissent par cœur, c’est en tout cas ce que répète la maxime tant de fois déclinée au sein de cette chanson « Je sais tout de toi ». Se connaître au point de ne plus avoir de secrets l’une pour l’autre, comme un Dieu saurait tout des êtres qui lui sont dévoués. Tout savoir pour ne plus être déçu, et vivre sans la contrainte des malheurs qui peuvent tomber à tout instant, préservant ainsi la plénitude d’une vie promise au bonheur absolu. Une forme encore brillamment prêtée au symbole du paradis, ou plus exactement ici du Nirvana, car après tout dans Karma Girls on voyage…

C’est l’empreinte asiatique de l’album, comme pour se rappeler indéfiniment ses origines, et Indochine a bien raison car parfois la tradition a du bon. Le cru 2017 nous emmène donc en Inde et en révèle l’un de ses charmes à travers ce conte ésotérique. La musique va crescendo, émaillée de sons orientaux que l’on entend toujours en fusion dans les écharpes synthétiques, et cette douce poésie mystique nous enivre jusqu’à son impressionnant final. La voix de Nicola devient aérienne, entamant l’ultime phase où les corps s’évaporent au profit des cœurs qui fusionnent. La culmination prend irrémédiablement aux tripes, surtout en concert quand tous les écrans s’emparent des couleurs de la Holi où de quelques-unes d’entre elles l’on croirait en voir des millions. La démonstration vidéo est saisissante, et cela tombe bien : en attendant le clip, Karma Girls s’offrira une Lyric Video reprenant ces somptueuses images. C’est la première vidéo du genre pour Indo, sortie le 1er avril 2019, et le rendu est stupéfiant. Les souvenirs du 13 Tour se font vifs à la vision de ces images reprenant celles diffusées en concert, avec la nuit pour toile de fond qui s’illumine au rythme des floraisons de mandalas, de l’emblème de la chanson que se trouve être le dieu-éléphant et de ces multiples vagues prismatiques quand arrive le final. On dirait bien une bénédiction du dieu Ganesh, prié avec ferveur par Manju lors des deux ponts instrumentaux. Pour l’anecdote, la figuration de ce dieu est déjà représentée dans le diaporama du clip de Punishment Park, le temps d’une brève image entraperçue au milieu de l’Indo des années 80. Quant au clip, il sort finalement le 13 juillet sur Youtube, ou plus exactement la veille bien qu’en exclusivité sur le site du journal Le Parisien. Si les teasers vidéo diffusés les quelques jours avant auguraient de splendides images colorées directement tournées en Inde, on se surprendra à découvrir que celles-ci ne durent que la première minute du clip ! Les cinq suivantes ont été tournées lors du concert au stade Pierre Mauroy de Lille le mois précédent, et si l’on regrette que le concept initial n’ait pas été porté sur l’ensemble du clip (manque de budget ?), la façon de filmer le concert étonne par son originalité : tout au ralenti, les plans s’attardent sur les visages des fans, ainsi que sur Nicola de dos, indubitablement pour rendre hommage au public d’Indochine à l’heure où s’achève un 13 Tour qui a fédéré mieux encore que sur n’importe quelle autre tournée l’harmonie et l’inaltérable fidélité des fans d’Indochine. De l’avis général et du mien, Karma Girls était sans aucun doute la chanson la mieux placée pour illustrer cet amour pur et intemporel.

Record depuis Paradize : 13 accouche d’un single avec supports commerciaux pour la quatrième fois ! Sortis le 14 juin 2019, ils précèdent la Dernière Vague du 13 Tour au stade de Lille et proposent pour l’occasion une version live enregistrée à Bercy le 16 novembre 2018, la fameuse date diffusée en direct sur TMC et RTL2. On y trouve aussi la version instrumentale, la version radio et un remix cousu main par Nicola et oLi De SaT. Sorte d’alternative à la version instrumentale (on y entend tout de même Manju), ce nouveau montage s’avère être presque enivrant du long de ses huit minutes, accentuant avec pertinence l’aura mystique tant imprégné du titre original. Absent des supports, il y a aussi l’étonnant ArMy ReMix, une production d’Oli disponible sur son Soundcloud emprunté de la touche geek de son auteur : le thème principal prend l’allure d’un animé space opera des années 80.

Supports
Maxi 45 tours, K7 single et Maxi CD