Pantins de la Divine Comédie

Vraisemblablement la pièce maîtresse de l’album à qui elle donne son nom, Black City Parade est aussi la chanson d’ouverture, elle-même introduite par une séquence d’une minute franchement réussie. La petite astuce qui distingue cette intro des deux précédents albums, c’est la voix de Valérie Rouzeau, qui récite via le son grésillant d’un téléphone un texte de Mireille Havet écrit il y a près d’un siècle ! Le poème est torturé : « Nos maîtres sont morts et nous sommes seuls […], notre faute est d’y survivre », augurant un thème qui exploite de part et d’autres les aléas de la condition humaine, tandis que la musique vibrant comme un moteur nous fait survoler la vaste cité noire, peuplée d’hommes et de femmes en tous genres avec qui l’on va bientôt faire connaissance. Les concerts du Black City Tour 2 mettent en scène ce spectacle très immersif : la vidéo à 180° part d’une lugubre colline pour s’enfoncer peu à peu au milieu des immeubles de la ville, à l’aide de rideaux amovibles qui atteignent à terme les fatidiques 360° pour encercler entièrement la fosse. Un spectacle réjouissant pour tous ceux qui ont la chance de se trouver dedans et dehors, car cet effet de scène innovant était bien offert aux yeux de tous.

Une fois le public entièrement immergé, le terrible riff de Boris s’enclenche et déverse un raz-de-marée new wave qui allume toutes les lumières de la ville. La parade de la comédie humaine se met en marche, et c’est tout bonnement saisissant. Rien n’est concrètement évoqué et ce sont les autres chansons du disque qui se chargeront de le faire, mais le texte résume un état d’esprit où l’on s’en remet aux caprices du destin. Pas de décisions sur sa vie, pas de direction entreprise, on avance sans trop savoir où l’on va pendant que des ombres s’activent autour de nous. On ne sait pas où l’on va mais on y va, c’est là le leitmotiv plein de sens qui ironiquement n’en donne aucun, de sens. On découvre donc une démarche nébuleuse, qui n’a pour seule certitude que celle qui consiste à devoir être plusieurs pour survivre, et cette notion de collectif motive énormément l’aspect optimiste de Black City Parade, chanson et album. C’est un peu ce que le clip de Richard Kern démontre, quand des filles (choisies à l’évidence pour leur photogénie) vagabondent dans les rues de New York où un monde s’anime autour d’elles : des hommes qui se battent, qui se font arrêter, une grand-mère et un sans-abri en quête de réconfort… un grand tableau à échelle humaine cerné par la chaleur d’une nuit de juillet, là dans les innombrables rues de Brooklyn. La chanson se teinte d’espoir quand les sourires reviennent sur les visages, le tout enveloppé dans une image porno-chic assumée, loin des sombres événements du précédent clip qui avait été tourné sur le même continent. Avec le recul, voilà bien ce qu’est Black City Parade : une constatation des affres du XXIème siècle, une photographie du monde avec ce que vivent femmes et hommes au jour le jour, dont on assiste au bonheur ou aux malheurs à chaque coin de rue. C’est le résultat d’un groupe qui a voyagé de ville en ville pour assister à ce qu’elles ont de commun : l’humanité dans tous ses états.

Pour revenir sur la musique, elle est indiscutablement très moderne, on l’a vu, mais on ne s’attendait pas à un tel mélange des genres. Ce n’est pas que de la new wave modernisée, c’est un croisement réussi avec du rock, de l’électro voire un zeste de funk. Un tel mélange ne peut être réussi sans un travail fourni, et il y a peu à douter sur le fait que Black City Parade a été soigneusement arrangé, avec un résultat sans appel à l’arrivée. Le pont avant le dernier refrain est une réussite en la matière, où la mélodie/voix s’envole et explose sur un dernier « I’ve got a way to see » (qui sonne mieux en chanson qu’à l’écrit). Les quatre remixes du Maxi CD transforment l’essai : ils sont tous réussis ! Le plus surprenant est sans aucun doute l’excellente prestation de Klink Clock, jeune duo ayant honoré entre autres les premières parties du Black City Tour, qui laisse la part belle à une batterie allègrement martelée et à une série d’effets de guitare décapants. L’énergie détonante de ce remix est impressionnante mais celle d’Oli n’est pas en reste, où le riff typique de la chanson monte dans un crescendo frénétique. Sensations garanties ! Le n°2 d’Indochine s’est même payé le luxe d’un second remix, relativement officieux puisqu’accessible uniquement via le Soundcloud du musicien. Nommé le Night Remix, il abandonne la façade moderne du titre au profit d’un voile lugubre, progressant dans un noir burtonien aux accents underground. Celui de Nicola est proche de l’original mais le rallonge avec des parties inédites, et le piano des premières secondes se fera même une place sur le Black City Club, medley de la tournée ! Quant à celui de Shane Stoneback, qui avait mixé l’album, de nouveaux sons posés sur le refrain suffisent à le rendre intéressant, mais ne restitue pas à mon goût les grandes qualités de cette chanson. Bien que figurant dans le medley à partir du Black City Tour 2, BCP est avant tout le titre d’ouverture des concerts, et ne pouvait mieux introduire l’univers de l’album dans sa face live et tout particulièrement dans sa mise en scène. Celui-ci cède néanmoins sa place à Electrastar durant les concerts de l’été 2014, choix logique du fait de la scène en extérieur où trône encore le jour : pas commode pour une ambiance nocturne !

Comme College Boy et le futur Belfast, BCP est sorti en Maxi CD et vinyle le 4 novembre 2013. Pour le single promo, c’est cette fois de Memoria dont il s’inspire, avec un CD gravé dans une pochette plastique où la chanson se présente dans sa version radio. Sans surprise, celle-ci est exempte de sa minute d’intro, mais aussi d’un des cinq mythiques riffs de guitare de Boris. Choix étrange mais finalement pas bien important, le meilleur vainc partout ailleurs.


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