Le poids du monde

Longue a été l’attente pour le Central Tour et bien courte a été la tournée en question, avec « seulement » six dates sur le territoire français du 21 mai au 3 juillet 2022. Mais alors qu’est-ce qui rend cette série de concerts si capitale au sein de la carrière d’Indo, déjà si riche de toutes sortes d’événements d’ailleurs ? Rien que poser la question semble déjà futile aux près de 500’000 personnes ayant assisté à une des dates en question et à l’historique de cette tournée inscrite dans le panthéon du spectacle musical français. Mais comment l’expliquer pour quelqu’un qui ne l’a PAS vécu ? La réponse commencerait fatalement par la pression accablante de la crise sanitaire qui aura repoussé la tournée à l’été suivant quand le Central Tour devait démarrer en 2021, imposant ainsi deux années de disette pour Indo et son public. Seuls les Singles Collection et quelques apparitions dans une bien étrange atmosphère permettront de garder le lien, mais c’est bien la tournée qui constituera la principale annonce de la conférence de presse du 26 mai 2020 pour célébrer les 40 ans d’Indochine et en introduction de la retransmission live, les spectateurs au rendez-vous découvrent à travers leur écran une rétrospective retraçant dans la douleur et la fragilité l’évolution d’un monde en perpétuellement mouvement.

Ainsi comment l’histoire d’Indochine, dans l’annonce des résultats des élections présidentielles de la Vème République française tandis que l’humanité s’arrache les droits à la dignité, ceux de subsister, de s’informer, de se cultiver ou quand la guerre et la violence se déchaînent, le simple droit de vivre. Ainsi les têtes se succèdent autant que les crises, mêmes vices mêmes vertus, sur des airs connus comme dans un silence glaçant quand le monde retient son souffle. L’Histoire s’est toujours écrite dans le sang, et même en temps de paix rien ne prédispose véritablement à la félicité. En face du constat accablant, Indochine mêle ses singles à l’histoire autour duquel il a lui-même évolué, traversant les époques et les générations comme autant de contextes à apprivoiser. La politique, la santé, les faits divers, le sport, le social… quand le spectacle est fait pour s’évader, Indochine rappelle en intro de concert d’où il vient et comment il a traversé quarante ans de crises, rappelant que pour lui-même comme pour son public, ce sont des survivants.

Les accords émouvants de Nos Célébrations retentissent alors sous les acclamations des quelques 72’561 spectateurs présents dans le Stade de Lyon ce 25 juin 2022, tandis que le groupe gagne peu à peu la scène centrale. Entre quatre branches servant d’avancées au sein de la pelouse, le promontoire circulaire est lui-même surplombé d’un gigantesque écran ressemblant à s’y méprendre à une citerne, ou un silo, ou un Titan… Peu importe le nom qu’on lui donne, il s’agit alors du plus grand écran vidéo jamais créé pour un concert avec ses plus 2000 m² de surface et visible à 360° pour s’assurer un parfait angle de vue quel que soit son emplacement dans le stade. Le clip de Nos Célébrations laisse tantôt place aux visages de Nicola, Oli, Boris, Marco et Ludwig bougeant au rythme d’un Station 13 toujours aussi électrique depuis le 13 Tour tandis que Marilyn fait son grand retour pour soulever le stade d’un rock revanchard sous les confettis rouges flamboyant. La machine est lancée, alignant une pelletée de titres rejoués en entier (ou presque) ce qui n’était pas arrivé depuis deux décennies comme Canary Bay, La Chevauchée des Camps de Blé ou bien même Le Baiser, pause bienvenue après le déchaînement d’un Paradize survolté qui s’est également extirpé du medley des précédentes tournées. La chanson-titre de l’illustre album de 2002 détonne dans cette nouvelle version et en profite pour redonner une énième leçon d’efficacité sur scène. Avant Punishment Park, Nicola redirige les pensées vers victimes du conflit russo-ukrainien frappant l’Europe orientale depuis plusieurs mois mais aussi aux corps de métier ayant durement œuvré pendant les confinements successifs, du reste des places avaient été offertes pour les soignants, les policiers ou encore les pompiers en guise de remerciement pour les efforts consentis pendant cette difficile période. Le Central Tour, c’est aussi le retour en grâce d’un des plus beaux titres du répertoire d’Indo, 7000 Danses, véritable moment de contemplation où la citerne arbore un paysage onirique de verdure avant de s’embraser de rouge dans la phase finale de la chanson. Des titres en rotation ont aussi été joués en fonction de la demande du public plusieurs mois auparavant sur les réseaux, ainsi seront joués A L’Assaut à Paris, Song for a Dream à Marseille, Popstitute à Lille et Little Dolls pour le reste. S’ensuit alors un des moments les plus attendus du live avec 3SEX et l’invitation de Christine and the Queens sur scène, véritable pile électrique quitte à déconcerter une partie du public (mais à la plus grande joie des plus jeunes), puis Alice & June propose pour la première fois une pré-intro parmi les plus originales jamais proposées par Indo, en plus d’être réussie. 3 Nuits par Semaine revient en milieu de set et dans une édition enfin raccourcie, loin des versions longues certes très bonnes des trois tournées précédentes mais dont les rouages commençaient à rouiller.

Quand la nuit tombe, le Stade commence réellement à présenter son light show pharaonique et cela commence un Central Club surprenant où se succèdent Des Fleurs pour Salinger et son intro électro ébouriffant, toutes mains levées ensuite pour Kissing My Song, couleurs flashy et maquillage sans retenue pour Stef II et retour cinglant du clap clap de Drugstar tel qu’on l’avait laissé lors du Meteor Tour. Autre surprise de cette soirée, le medley se poursuit avec un Dizzidence Politik fraîchement restauré (« 1981, c’était notre premier morceau, veuillez accueillir Lou et Dimitri ! ») pendant lequel les musiciens longent la scène dans l’entrain des premiers jours du groupe comme si la scène redevenait celle du Rose Bonbon le temps d’une chanson. Ceci fait, le medley se termine sur le remix de Nos Célébrations pour un dernier tour de piste avant l’extinction complète du stade. Les flashes des smartphones illuminent alors l’enceinte du stade, et la citerne démarre un hommage vibrant aux treize albums du groupe en dessinant sommairement la pochette de chacun d’entre eux par morphing. Simple, efficace, ce moment suspendu a mis tout le monde d’accord.

Le silence total laisse ensuite place à une nouvelle surprise du Central Tour avec le retour de l’Orchestre de la Garde Républicaine, trois ans après leur prestation pour la finale du 13 Tour. J’ai Demandé à la Lune et La Vie est Belle émeuvent d’autant plus au son des trompettes et des tambours alors qu’Atomic Sky brille par son absence sur le support live. Les autres dates s’étaient contentées d’un set plus classique avec Kao Bang à la place d’Atomic, et Nicola entonnera même Un Singe en Hiver sur la dernière date à Lille II sans pouvoir le terminer, submergé par l’émotion. Et ce n’est pas l’émotion qui va manquer pour la dernière ligne droite du concert, avec une introduction à College Boy sur les témoignages de jeunes et de moins jeunes ayant souffert du harcèlement scolaire dont Jonathan Destin, décédé à la fin du même été et auquel le film est dédié. Le titre fait venir le chanteur lyrique Philippe Jarrousky sur scène (déjà aperçu sur une prestation TV) dont la voix très haut perché ne convaincra pas non plus tout le public. L’Aventurier se pare d’une nouvelle intro, toujours aussi excitante musicalement mais aussi visuellement de par ces buildings cernés de néons cyberpunk éclairant des pochettes de singles jusqu’à celle, toute de rouge vêtue, du tube fondateur d’Indo. Pour l’anecdote, Nicola à Lyon se trompera sur le premier refrain, poussant à tort le public à poursuivre celui-ci même pendant le pont instrumental ! Le final sur Karma Girls est proprement bluffant visuellement, le stade brillant de mille couleurs et laissant éclater un feu d’artifice bien au-delà de l’enceinte du stade, et dont la captation vidéo rend magnifiquement honneur que ce soit de près ou dans les airs. Le public est naturellement conquis, repartant du stade plein de souvenirs dans les nappes spectrales d’un bleu rêveur où Indo donne rendez-vous en « 2033 ».

Le concert a été filmé en IMAX et a diffusé le film dans les cinémas Pathé les 23 et 24 novembre 2022, en France et même bien au-delà. Les supports arriveront plus tard, le 13 janvier 2023, dans quatre éditions : 3 CD, 3 DVD, un blu-ray et un coffret collector regroupant les CD et DVD. La FNAC mettra en place un système de précommande via des cartes de couleur pour faire arriver à temps le Central Tour sous le sapin. On s’étonne par contre à cette annonce de ne pas voir de support en haute définition dans ce coffret, ni même simplement de support 4K (sauf sur Youtube!) surtout après une telle mise en avant de la technologie IMAX les deux mois précédents. Atomic Sky sera relégué en bonus pour une raison totalement inconnue et aucun titre bonus nous est gratifié alors qu’il y avait de quoi faire entre A L’Asssaut, Song for a Dream, Popstitute et Kao Bang. Ce n’est certainement pas un problème de place : les titres sont répartis sur trois disques alors que le tout tenait sur deux comme cela se fait depuis 1997 chez Indo, il s’agit donc là de choix aussi délibérés qu’étranges et décevants. La qualité de la captation, audio comme vidéo, compense néanmoins ces manquements dommageables.

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