Vivre ou laisser vivre

Punishment Park tient une place spéciale dans la carrière d’Indochine. Située au beau milieu de l’album Le Baiser, elle en résume l’essence autant qu’elle raconte sa propre histoire. Douloureuse, mais parlant à tous ceux qui en ont vécu l’expérience, elle est aussi celle de Nicola à l’époque de son écriture, remué par sa séparation d’avec Marion Bataille quand il rentre du Pérou en 1988. Il invite Juliette Binoche rencontrée par le biais du film Mauvais Sang à poser sa voix sur le texte très durasien qui la séduit, car tous deux sont nourris par les mêmes sources littéraires.

Une place spéciale dans Indochine donc, mais aussi dans le cœur de ses fans. Punishment Park parle de ces amours déchus, muselés par les inflexibles rouages du destin quand l’un reste sur la touche, parfois même les deux. Nicola le résume brillamment dans un genre d’anaphore riche de sens pour le peu qu’on comprenne le message, quand il parle de ces relations que l’on construit avec parfois l’envie de la détruire, quand on ne se détruit pas soi-même. Comme si rien ne pouvait être trop simple, parce que parfois la seule vocation est de tout détruire, jusqu’à anéantir ce qu’on aime sans pouvoir rien y faire. Vient le temps de la punition que l’on s’inflige à soi-même pour avoir aimé, parfois parce qu’on se refuse le bonheur, ou parce qu’on éprouve même de la difficulté à aimer et s’y complaire. C’est là que l’on regrette de ne pas avoir plus de contrôle, où l’on pourrait être davantage maître de notre avenir et laisser moins de regrets composer le passé. Les chemins se croisent et se décroisent inexorablement, que l’on soit aux commandes ou qu’on se laisse guider par le destin, selon les croyances et la philosophie de vie que l’on adopte. Mais une chose est commune à tous, c’est qu’en amour comme dans la vie, rien ne se passe jamais comme on le voudrait.

La force de Punishment Park est de déterrer ces sentiments souvent enfouis, des instants de vie torturés qui font intimement partie de l’existence de beaucoup de fans d’Indochine. Cela paraît complexe en le lisant, mais je suis sûr que c’est une évidence pour beaucoup de gens et de toute manière, chacun se l’est appropriée en y donnant son interprétation personnelle. C’est là un autre atout de cette chanson mythique, elle dispose de divers niveaux de lecture qui changent selon les vécus et les personnalités, et les nombreux cœurs qu’elle a touchés sont le signe de reconnaissance qui a élevé cette chanson au rang de culte dans la sphère indochinoise. Quand une telle harmonie rassemble l’auteur et son public, il n’est guère regrettable qu’elle n’en franchisse pas les frontières : le grand public n’en a cure, et c’est tant mieux, laissant ainsi un caractère privé à des états d’âme qui n’ont jamais eu vocation à s’étendre en place publique. Il n’en demeure pas moins qu’on la retrouve régulièrement dans les setlists, et c’est un plaisir indéfectible que de retrouver chaque fois cette musique solidement ficelée, la virtuosité de son piano synthétique et l’usage à bon escient de son air d’harmonica. Seul titre d’Indo à recourir à cet instrument, il en est devenu sa marque de fabrique, sa pièce d’identité à lui seul. Elle a de plus gagné une puissance redoutable en live, avec une pensée pour l’interprétation tonitruante d’Alice & June Tour ! Comme quoi, il n’y a pas que les tubes qui traversent le temps.

Le clip, réalisé par Jean Achache, n’interfère pas dans le sens de la chanson et se contente d’apporter un visuel pour compléter l’œuvre, image qui fera d’ailleurs la pochette du single. Tourné dans le Gard et sur les plateaux des Causses, le clip s’offre des prises aériennes impressionnantes grâce à un hélicoptère où l’on observe le trio en plongée. Rien de plus, mais rien de moins non plus. Le mix 2020 apportera un nouveau coup de boost bienvenu, mettant en valeur la riche orchestration et la maîtrise de Dominik Nicolas. Surtout au regard de ce qui avait fait la décennie précédente, prouvant au passage les compétences du tandem en matière d’évolution artistique et parallèlement, le manque d’attention du grand public tournant le dos au groupe qui n’admettra pas une vérité pourtant criante : Indochine évolue, et le fait avec un immense talent.

Si Punishment Park est une chanson convoitée des fans, c’est aussi dans les supports, tous relativement rares. Le plus courant est le 45 tours, avec en face B une version dite « de nuit » qui revisite le morceau de façon très tourmentée. Le Maxi 45 tours comporte en plus une édition dance assez méconnue de la chanson, devenue plus longue et à l’orchestration plus dense. Notez qu’il existe une version longue qui devait être probablement incluse mais qui ne l’a pas été pour des raisons obscures, mais elle est intégrera la compilation Les Versions Longues six ans plus tard.

Plus rare, le Maxi CD. Si cet objet est déjà rare, il existe en plus deux éditions limitées de celui-ci : une au format 45 tours en boîtier épais avec l’étoile découpée laissant apparaître la pochette (format tout à fait exceptionnel s’il en est), et l’autre avec les lettres aux couleurs fuchsia et à l’étoile noire, soit le contraire de la pochette originale. Il existe enfin un promo canadien dans un boîtier type album sans livret.