Erables ardents
Au printemps 2012, une imposante grève étudiante s’étend sur tout le Québec, faisant fleurir de massives manifestations dans les plus grandes villes de la province canadienne. Ce mouvement sans précédent dans l’histoire du pays est né d’une délicate annonce de l’augmentation des droits de scolarité universitaire prévu par le gouvernement nouvellement mis en place, et la fermeté de la contestation (qui consistait en une grève illimitée) aura finalement raison du projet. L’image révolutionnaire est restée, et Indochine s’emparera du sujet en écrivant l’incandescent Le Fond de l’Air est Rouge, du nom du film de Chris Marker sorti en 1977.
Des chœurs de mauvais augure, une guitare qui trotte par-dessus, un couplet mélodieux soufflé par Nicola, puis le riff de guitare qui éclate et libère la batterie de Shoes… voilà un ensemble mécanique qui charme les oreilles d’entrée de jeu. La chanson révèle peu à peu ses atouts et la suite est tout aussi plaisante avec l’usage d’un pré-refrain astucieux et un refrain aussi flamboyant qu’il est annoncé. Après un pont au synthé peu commun chez Indo, le cycle reprend et jamais ne s’use, jusqu’à ce que les chœurs referment la chanson. Voilà un titre bien ficelé, finalement sans grande prétention mais suffisamment évidente pour fonctionner, et les paroles sont en excellent équilibre avec la musique. Sans jamais clairement mentionner les grèves étudiantes, Nicola les évoque par images et couleurs, à grands renforts de symboles fédérateurs (« à tous nos vaisseaux », « nous marcherons ensemble », « nous les mauvais anges »,…). S’inscrivant toujours un peu plus dans la démarche de Black City Parade, ce titre dépeint les affres d’une époque mouvementée où rien ne semble jamais acquis. Ces luttes sociales qui font vibrer la corde démocratique, elles sont au cœur de chacune de ces villes où un peuple s’anime, un peuple qui vit et qui bouge, faisant trembler les puissants quand ceux-ci abusent du pouvoir qu’on leur a mis entre les mains. Et la voix de la jeunesse est sans conteste la plus fougueuse d’entre elles, ce qui est bien logique : c’est l’avenir de l’humanité. Des exemples récents l’ont encore prouvé, à l’heure où la consommation de masse met en péril l’équilibre naturel. Du vert du monde qui nous entoure à la flamme rouge qui sommeille en chaque citoyen de la planète, il y a la nature humaine, dont les émotions sont encore perçues à chaque croisement de rues des cités noires de Black City Parade.
Ce qui nous amène au Black City Tour, où la chanson populaire auprès des fans s’est faite péniblement attendre. Et pour cause, elle était totalement absente des setlists du BCT1, et c’est symboliquement au Centre Bell de Montréal qu’elle sera jouée pour la toute première fois, le 24 mai 2013. Elle s’est depuis offert une place de choix pour les concerts suivants, certes calée après L’Aventurier et donc jouée devant un public quelque peu éreinté, mais renforcée par une superbe vidéo diffusée sur l’écran du fond. Jouant sur les effets de flous, de nuances de rouge et de noir sur des photos de visages déterminés, c’est un travail esthétique de haute volée qui a été fait en l’honneur de ces vaillants étudiants d’outre-Atlantique, tels des guerriers modernes ayant défendu leurs droits avec ardeur (et aussi une certaine créativité). Pas besoin d’armes pour ces guerres-là, il suffit parfois de fédérer un peuple pour gagner le combat. Et cela méritait bien une chanson.
Le Fond de l’Air est Rouge est considéré fin 2014 comme le sixième single de BCP mais son statut de promo live, l’absence totale de supports et la diffusion confidentielle du morceau lui rendront difficilement l’accès à ce statut. Il s’agit plutôt d’une mise en avant destinée à promouvoir la sortie de l’album live, comme Wuppertal. Le vidéo-clip déçoit cependant, et remet en question la qualité de l’enregistrement du concert au Palais 12, d’autant qu’un dédoublement de voix fort peu convenu est perceptible sur le dernier pré-refrain. C’est trop tard pour changer quoi que ce soit, le DVD/blu-ray ayant dû sortir peu de temps après.