Impératrices

L’écriture de l’album 3 est un passage difficile pour Nicola. Le cap du troisième album n’y est pas pour rien, mais le chanteur veut changer de registre, évoluer, tandis que des tensions naturelles naissent dans le groupe dont il veut par ailleurs enlever l’étiquette exotique. En bref, du travail en perspective, à mener au front et en interne pour assurer la survie d’Indochine. L’influence de Duras et l’évolution sonore du groupe se chargeront de lui apaiser certaines angoisses, mais pour la partie exotique, pas sûr que la sortie du premier 45 tours issu de ce nouvel album fût l’idéal !

Groupe
La sortie des singles de 3 est une affaire de compromis

Ceci dit, Canary Bay traduit tout de même un changement dans la musique et dans le texte. L’esprit du fantasme est toujours là, mais il n’est plus le même. Nicola investit d’autres terres, moins épiques et plus charnelles, plus proches du « fantasme hétéro » que les récits venus d’Extrême-Orient où nous emmenaient les deux premiers albums. Le chanteur d’Indo établit ici une sorte de paradis onirique pour filles, une terre protégée et défendue pour que ses habitantes vivent en totale liberté, sur les rochers ou dans les forêts, là où personne ne viendra les déranger. Je sais, je cite le texte, mais il est finalement assez explicite, beaucoup plus que d’autres chansons du même album. Peut-être trop pour Nicola qui confesse en avoir « un peu honte » aujourd’hui. Il est vrai que cette chanson peut paraître kitsch aujourd’hui, mais pas beaucoup plus que 3ème Sexe, et ces deux chansons ont rejoint les standards de la musique française. Elles partagent plus que le succès commercial du reste, elles sont une évocation de l’homosexualité sans jamais la nommer, prônant la liberté et la tolérance du fait de leur intime existence, et la force de cette évocation autant que l’efficacité physique du texte ont fait de ces deux titres des hymnes de concert.

Canary Bay n’a pas de clip. 3 Nuits par Semaine n’en a pas eu non plus, mais il ne s’agissait que d’une face B alors que Canary Bay tient la place fatidique du lead single. Comment expliquer cette absence ? A ma connaissance la raison n’a jamais officiellement été donnée, mais on peut en supposer plusieurs. La plus probable, c’est que le groupe manquait de temps, étant parti pour sa tournée suédoise juste après l’enregistrement de l’album. Grand bien leur en a pris car c’est cette tournée qui remettra Nicola d’aplomb, et le galvanisera pour la sortie du second single que le chanteur voulait comme le lead : 3ème Sexe. Cette fois il y aura un clip, bien aux couleurs de l’album comme l’aurait sûrement été celui de Canary Bay.

Pour devenir un hymne, il faut aussi une bonne composition. Et Dom a écrit une musique solide, avec des gimmicks identifiables entre mille, confirmant par là son aptitude à dénicher les sonorités qui font mouche. Un large pont enchaîne des chœurs graves (les vaisseaux fantômes ?), des mélodies au synthé et des notes de saxophone placées là où il faut donnent une palette sonore révélatrice de l’envergure musicale qu’Indochine est en train de prendre. Cela n’empêche pas l’ex-saxophoniste, Dimitri, de détester cette chanson comme il l’a ouvertement déclaré ! Mieux vaut pour lui de ne plus faire partie du groupe alors, puisque Canary Bay est un incontournable de concert, et ce depuis son existence. A l’exception de la période Alice & June, cette chanson a toujours été là, bien souvent en ouverture des medleys modernes où sa structure musicale est idéale pour pousser le public à interagir. Les « ouh ouh » sont bien sûr de la partie, iconiques à souhait. Ils ne sont pas seulement efficaces, ils sont aussi les premiers de l’histoire d’Indochine, les premières vocalises qui feront chanter des salles et des stades entiers. Mais du medley, on retient aussi le tonitruant pont musical d’où s’élèvent toutes les mains pour une chorégraphie messianique, suivant celles de Nicola bien qu’il n’y ait guère plus besoin du chanteur pour montrer la voie. Vu de haut, le tableau est impressionnant. Ce qui mène à penser que tout chiffre maudit qu’il a pu être, 3 est devenu une bénédiction pour Indochine, avec trente ans de preuve derrière lui.

La pochette de Canary Bay reprend les superbes couleurs de l’album, ce qui profite particulièrement au picture disc. Sur ces vinyles, on retrouve la chanson dans une version si écourtée qu’ils font passer la version album pour une édition longue ! Le Train Sauvage de Stéphane trône en face B. Il existe aussi un Maxi peu courant, sorti en Espagne ainsi qu’en France sous forme de promo destiné aux DJs.

Une version canadienne du 45 tours se distingue par une face B différente où l’on trouve la version live de Canary, tirée de « Au Zénith », ce qui indique naturellement que ce 45 tours est sorti bien plus tard que les autres.

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45 tours France