Symphonie de la nuit

2012. Après la parenthèse Paradize +10, le vide est rapidement comblé par la mise en ligne régulière de photos des studios pendant les sessions d’enregistrement du prochain album. Et dans l’esprit de titiller les sens, des teasers se mettent à fleurir et font parvenir aux oreilles les premières mélodies extraites des démos et autres maquettes. Le premier sort le 17 juillet et l’on y entend l’intro de Nous Demain encore en pleine gestation. Le second, un mois et demi plus tard, s’amuse à inquiéter l’auditoire avec un Nicola irrité qui menace de ne pas faire l’album si l’ambiance au sein de l’équipe ne s’améliore pas (était-ce sérieux ou pas, on ne le saura jamais)! Le troisième, en octobre, balance une musique électro séduisante ; c’est l’intro de l’album, Black Ouverture, mais on l’ignorait encore à ce moment-là. Le quatrième, quelques jours plus tard, laisse entendre une jolie mélodie rythmique qui n’est autre que celle de Memoria dans une version démo. Et enfin, le cinquième…

On est alors le 12 novembre, et le teaser #5 nous emmène dans une ville en pleine nuit, le long d’un tunnel où la caméra s’obstine à filmer les néons au plafond. Mais le plus intéressant, c’est bien sûr la musique qui se réveille lentement avant qu’un rythme très pop et une mélodie cyclique prennent le cours et ce jusqu’à la fin de la vidéo. Dans un élégant fondu, des mots percent le noir et confirment la musique baptisée Memoria comme premier single, à paraître le 15 novembre. Les fans les plus impatients se précipitent dès minuit sur les plates-formes de téléchargement, pour embrasser une première fois l’atmosphère enveloppante du nouvel album, mettant un point d’honneur à changer des découpages de cahier et des paysages grisés de l’album précédent.

Memoria est un lead single atypique. Après les explosifs Alice & June et Little Dolls, ce premier extrait du nouveau cru d’Indochine opte pour une sorte de road trip urbain à mid-tempo long de cinq minutes, qui emporte son auditeur dans sa course, et où le refrain n’arrive qu’après deux minutes. La mélodie demeure facile d’accès et les paroles sont très explicites, ce qui a probablement facilité son accès en radio. Nicola écrit ici un récit très intime, comme une envie pressante de parler de ses états d’âme, torturés entre le chagrin, le besoin de rédemption et l’espoir. A défaut d’être subtil, le texte est empreint de la poésie sirkisienne 2.0, reliant son auteur à une personne regrettée pour peut-être mieux espérer la retrouver, et si les commentaires sont allés bon train sur l’identité de la personne concernée, on peut bien se figurer celle que l’on désire, après tout. Qu’il s’agisse de quelqu’un veillant depuis les cieux ou d’une histoire d’amour révolue, les sentiments sont finalement peu différents. Car c’est bien à cela que Memoria se résume : l’envie, cette force qui agite n’importe quel être humain, quel que soit ce désir. Quand bien même crie-t-il vainement cet espoir, consolidant au futur un semblant de perspective qui n’arrivera jamais. Et à l’heure de balancer des singles à gros calibre, il était audacieux d’imposer cette lecture intérieure en premier extrait, un choix qui sort des mécanismes habituels. Le clip sorti le 2 décembre est directement inspiré du film Drive et annonce clairement le parti pris de l’album, à savoir l’immersion au cœur d’une ville nocturne et lumineuse animée par les sentiments humains, ici Berlin. Nicola y conduit une vieille voiture américaine (marque Chevrolet, pour être précis) et roule sans but entre les lumières de la ville presque désertique. L’image est feutrée, chaleureuse tout en peignant des couleurs froides sur les innombrables bâtiments qui semblent avaler le vagabond errant. La somptueuse photographie et le déroulé du clip n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de Crash Me dont il pourrait être le pendant citadin. Alors on pourra pester sur une relative lenteur du rendu final et une caméra trop centrée sur Nicola dont l’égo est jugé grandissant, mais le clip se laisse apprécier pour son imagerie singulière, et annonce mieux que jamais ce vers quoi le groupe s’engage pour les trois années à venir. Il est d’ailleurs le premier à sortir en haute définition (1080p), une première qui tombe à pic quand l’album à venir s’annonce contemporain.

La chanson fait cinq minutes -ce qui est déjà très long pour un single- mais ce n’est encore rien comparé à la version intégrale de l’album qui en dépasse les sept ! Cela peut surprendre, mais Memoria est une chanson faite pour être longue, et cela se vérifie sur l’édition album qui s’écoute mieux que la version raccourcie du single. Une « chanson-fleuve », qui nous emporte dans son courant, ne devrait jamais être abrégée. Elle sera d’ailleurs mise en écoute libre le 24 décembre, en guise de cadeau un mois et demi avant la sortie de Black City Parade. Le public est invité à pénétrer dans la ville noire, sous la forme d’un Black City Tour qui envahira les salles de concerts en 2013.

Le single a été envoyé aux radios sous la forme d’un CD gravé dans un papier plié, le tout glissé dans une pochette plastique. Procédé peu coûteux à la fabrication mais qui rend difficile l’authentification de ces singles promo. Comme le veut l’époque Memoria ne bénéficie pas de sortie physique et ne peut donc être que téléchargée, tendance heureusement renversée pour les trois singles suivants. Un mot sur le mix 2020 : c’est l’un des plus réussis de la compilation, avec un spectre élargi et une batterie plus rock, au point que l’on regrette qu’il ne s’applique qu’à la version single. C’est qu’on prône l’excellence quand il s’agit de l’un des plus beaux lead singles d’Indo.

Clip9