Le cercle omniscient
Le Black City Tour avait été annoncé comme la plus grande tournée d’Indochine, pas tant en nombre de concerts que pour l’ampleur de son concept et les moyens mis en œuvre pour le réaliser. Dans le but d’emmener le public plus loin encore après le déjà ambitieux Meteor Tour, Indo redouble d’inventivité sur sa scénographique aidée par le potentiel graphique délivré par Black City Parade. Une tournée graduelle qui démarre sur un Black City Tour 1 modeste, dix jours après la sortie de l’album. Ce n’est que le premier acte, où seule une « partie » du show est révélée dans des salles moyennes qui ne peuvent accueillir le montage entier, comme les Docks Océane du Havre ou le Parc Expo de La Rochelle. Il faudra attendre le BCT2 à l’automne 2013 pour découvrir toute l’ampleur de ces nouveaux concerts, dans les zéniths des plus grandes villes. Ces dates sont marquées par la présence du fameux « serpent » comme aime à le désigner Nicola, qui encercle la fosse avec des rideaux mobiles suspendus pour une diffusion d’images à 360°. C’est un dispositif scénique encore jamais vu nulle part ailleurs, et c’est Indochine qui l’a fait ! Le BCT se prolonge avec un troisième acte et c’est la première date de cette série de concerts, au Palais 12 de Bruxelles le 12 mars 2014, qui est choisie pour être l’enregistrement officiel de la tournée.
Quand Trashmen se met à résonner dans la salle, le public sait que ce n’est plus qu’une question de secondes. Le rideau finit par tomber, dans un silence et un noir pénétrants, tandis que l’écran du fond arbore une vue plongeante sur la ville noire barrée de sinistres branches au sommet d’une falaise. Peu à peu, la caméra avance et survole l’immensité de la ville au son haletant d’un cœur qui bat au rythme des lumières vibrantes. Le serpent avance à son tour, pénétrant dans la fosse pour immerger le public tout autour des gratte-ciels, lui donnant l’impression de planer. C’est Black Ouverture qui fait son entrée, et le gimmick identifiable de Black City Parade lui emboite le pas une fois tous les membres arrivés sur scène. Jamais l’effet d’immersion n’avait été aussi prenant, renforcé par des images 3D somptueusement conçues et mises en scène par Death in Paris, et cet instant de magie s’est durablement imprimé dans l’esprit de ceux qui vécurent le spectacle de l’intérieur.
Ensuite place à la musique, quand le serpent retourne en coulisses pour replacer la scène au centre du concert. Traffic Girl diffuse un air de fête (et aussi des confettis) malgré l’amertume de son sujet, puis Belfast prend le relais pour un torrent d’énergie. La setlist a le bon réflexe d’alterner les tubes du groupe avec d’autres plus intimes, dont quelques titres échappés des années 90 (Kissing My Song, Atomic Sky, Un Jour dans notre Vie en piano-voix…). Les nouvelles chansons ne sont pas en reste et se donnent même en spectacle, comme Wuppertal où les puissantes vocalises s’allient à des jets de vapeur, mais c’est peut-être College Boy qui marquera le plus les esprits de par son message éloquent. La chanson est introduite par un ignoble discours homophobe entendu pendant les « Manifs pour Tous » s’opposant à l’époque contre le mariage pour les couples homosexuels. Des mots durs mais idéalement placés juste avant les premiers vers de la chanson, comme un triste constat qui justifie le combat encore à mener. Vient l’heure fatidique du medley, le Black City Club, qui a évolué plusieurs fois depuis le BCT1. De ce furieux enchaînement de hits long de presque vingt minutes conditionné par l’électrisant Trashmen, on retiendra le formidable échange entre Nicola et le public avec les « yeah yeah » on ne peut mieux trouvés, la présence bienvenue de Paradize et de Satellite et l’énergie folle qui ne retombe presque jamais. Le concert s’offre ensuite une pause sous les étoiles, puis la deuxième partie de concert s’enclenche avec Marilyn et son intro revisitée. Trois Nuits par Semaine est l’occasion pour Nico de rendre visite aux gens des gradins, habitude prise depuis les concerts de Paradize +10. Même après A L’assaut en acoustique et L’Aventurier qui débute par les bras de Nicola enlaçant le public au moyen des rideaux mobiles, le concert est encore loin d’être terminé. Le Fond de l’Air est Rouge et Pink Water le finissent officiellement, mais le groupe revient pour enregistrer trois autres titres qui feront office de bonus sur le coffret du DVD/Blu-Ray : La Nuit des Fées, une probable réminiscence à P+10, et les récents Salomé et Kill Nico.
Si le concert était très bon en soi, il ne constituait peut-être pas la meilleure date à filmer, le public bruxellois n’ayant pas été à la hauteur de sa réputation ce soir-là. Mais le principal regret n’est autre que la qualité de la captation, pour tout dire très relative ! La qualité de son laisse à désirer, manquant de relief et de clarté au point d’avoir parfois l’impression de n’entendre que la basse de Marco à travers un mur. Et même l’image pêche à plusieurs moments, surtout à l’ouverture dont on regrette qu’elle n’ait pas été mieux filmée alors qu’il s’agit d’un des moments phare du show, paradoxalement la version filmée dans les bonus est de meilleure facture, un comble ! Les coupures entre certains titres pour collecter les impressions des fans a aussi de quoi rebuter, d’autant qu’on les retrouve dans le making-of sur le même disque vidéo. L’idée de donner la parole aux fans est parfaitement en phase avec le crédo d’Indochine, mais c’est un problème quand cela empiète sur la qualité d’une séquence vidéo, surtout que cela nous sort d’un show qui avait le don d’être immersif. Et sur le fond, l’on pourra pester plus ou moins à juste titre sur une certaine baisse de spontanéité et un esprit rock qui s’éloigne depuis Paradize, mais personne ne peut nier qu’Indochine cherche toujours à offrir le meilleur de lui-même et les moments poignants sont toujours bel et bien là, ils sont seulement transmis différemment.
Outre les habituels CD/DVD digipack, Black City Tour s’est vu emballé dans une boîte collector étonnante en forme de cylindre, avec les cinq disques (blu-ray inclus) disposés à la verticale que l’on insère dans une colonne à fentes. C’est peu pratique, certes, mais le concept rappelle l’esthétique circulaire de la tournée, et puis c’est quand même sacrément classe à exposer ! Les titres bonus ne sont pas dispo sur le CD, contrairement au quadruple vinyle et en vidéo.
