Guernica

On avait presque oublié cette sensation fébrile, vous savez, celle de découvrir un lead single, ce titre préfigurant un album qui allait pointer le bout de son nez, comme un avant-goût dont il faut se contenter pendant trois mois. Il faut dire que sept ans séparent 13 de Babel Babel, deux albums au milieu desquels ont frappé une pandémie sinistre, puis une tournée des stades commémorant les 40 ans d’Indo et enfin une prolongation en festivals encore l’année suivante. Le début des années 2020 aura été une période spéciale pour le groupe et pour ses fans, où cohabiteront frustrations et célébrations. Mais voilà que fin 2023 nous rassure après un long silence : Indo is back ! Deux teasers avec un son coldwave plein de promesses, et des noms de codes pour une nouvelle fournée de titres. Mais c’est le 16 mai que les réseaux d’Indochine officiel se parent enfin d’un nouvel habit, où l’ombre des cinq membres est barrée d’un « 14.06.2024 ». L’attente, enfin, allait prendre fin.

Découvrir une nouvelle chanson d’Indochine c’est de l’impatience, de l’excitation et parfois un peu d’appréhension. Après 43 ans d’existence, que peuvent-ils encore bien produire qui n’a pas déjà été fait ? Surtout quand le groupe est parfois accusé de recycler ses recettes, œuvrant dans une rengaine bien huilée qui quoi qu’il arrive plaira toujours au public déjà conquis. Alors oui, le Chant des Cygnes est un peu tapageur, oui le texte use de ficelles galvaudées, oui les chœurs « Sois forte, plus forte, encore » sont avant tout pensés pour résonner à l’unisson dans les stades, oui Le Chant des Cygnes n’invente ni ne réinvente rien… mais force est de constater qu’une fois encore, la magie Indochine opère.

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Déjà, le lead single de Babel Babel est un titre up-tempo, ce qui les distingue d’emblée de ses deux prédécesseurs que sont Memoria et La Vie est Belle. Et une telle énergie qui revient, avec ses coups de batterie saillants et son refrain au vitriol, ça fait un bien immense qui vaut bien de reléguer un temps la subtilité au second plan. Pour cela Indo a mis les grands moyens en faisant appel à… ses propres enfants. Ainsi les petits Sirkis, Jardel ou encore Eliard ont prêté leurs voix pour les chœurs, donnant ainsi une certaine ampleur au chant en attendant celle des espaces de concerts, une décision malicieuse et bien indochinoise au fond : l’intimité du cercle familial uni d’une même voix pour porter un hymne mêlant soutien, détermination et espoir… N’est-ce pas totalement Indo, en fin de compte ? Le mixage des voix surprend aux premiers abords, c’est un peu confus et ça manque de naturel (la différence est flagrante avec celui de Nos Célébrations) mais c’est peut-être un mal nécessaire pour tenir la distance à un orchestre surcalibré. La musique, en effet, ne fait aucune concession et la batterie ouvrant la version single de Ludwig en dit déjà long sur l’ambition de La Ville des Filles (le nom initialement choisi). L’ensemble est plus brut, plus rugueux, comparé à la rondeur pop des morceaux sortis précédemment, et cela se ressent sur le refrain, très entraînant avant de rebondir sur un solo de guitare tout droit sorti de l’abondante usine à gimmick d’indo. La version album offre plus de nuances avec un début et une fin plus en douceur, à la guitare acoustique, quitte à dénoter avec le reste surtout avec cette séquence finale peu en phase avec ce qui vient de se passer. Pourtant cette outro n’est pas sortie du chapeau, elle appuie les propos du texte entier, surtout dans sa dimension féministe où Nicola célèbre le courage et la détermination des « guerrières », avec cette admiration bienveillante. Car oui, Le Chant des Cygnes est un hymne féministe, portant le combat le poing levé pour la liberté des femmes, surtout elle quand celle-ci est durement mise à l’épreuve comme en Iran et en Afghanistan, ou même parfois en Occident quand des droits élémentaires comme celui de l’avortement sont remis en question.

Il n’aura pas fallu attendre pour découvrir le clip, puisqu’il est sorti le jour même du single. Tourné en Lituanie et réalisé par Laura Marciano, il alterne entre deux séquences qui se recoupent ingénieusement : une piste de danse cosmopolite au centre de laquelle le groupe joue son morceau, et un road trip où des jeunes libres comme l’air savourent une ruée sauvage en 4×4 tandis que des écrans diffusent la prestation d’Indo. Basée sur l’énergique version single (là où 13 favorisait les versions longues pour ses clips), la vidéo va certes à l’essentiel mais il aurait tort de faire autrement. En contant son « je veux vivre encore plus fort » ainsi en terres est-européennes, on pense naturellement à la guerre en Ukraine, un désastre humain qui semble particulièrement toucher Nicola. Le groupe fait alors d’une pierre deux coups, en mêlant les thèmes de la tolérance à ceux de la résistance, poings levés, avec un œil sur la guitare et l’autre sur la bagarre.

C’est une première depuis Alice & June : ce premier single est sorti sur supports physiques, plus exactement en Maxi CD et Maxi Vinyle. On en regrette que les lead single sortis entre temps n’aient pas eu le droit à ce privilège, mais soit, il vaut mieux profiter de ce dont on a à regretter ce qu’on n’a pas. En plus toutes les versions mises à disposition sur la galette sont bonnes, de la version album à la très bonne instrumentale en passant par la mouture single qui se distingue avec son intro rentrant tout de suite dans le lard. Je ne saurais dire quelle version je préfère, chacune a sa force, et c’est peut-être là la preuve que l’on a affaire à un bon single. On peut en revanche regretter que la pochette soit issue d’une œuvre déjà existante, celle de la photographe Claudine Doury, quand bien même le visuel est en phase avec le propos.

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