Seconde jeunesse

Cette chronique couvre deux des tournées les plus méconnues d’Indochine. Faisant suite à la sortie de Wax fin 1996, le prosaïquement nommé Wax Tour oscille entre la France et la Belgique pour des concerts sans cesse rajeunis et débordants de fougue. De la décennie du doute c’est peut-être la période la plus importante du groupe, celle constituant l’Acte II où Indo revit à travers de nouvelles idées, de toute façon nécessaires après le départ de Dominik Nicolas deux ans plus tôt et laissant derrière lui un duo que l’on aurait pu penser exsangue. C’est sans compter sur l’énergie des frères Sirkis qui rebondissent, armés d’une créativité florissante et celle des nouveaux musiciens qui viennent se greffer à l’aventure pour l’élaboration de Wax, et surtout à travers la vie de scène qui en dépit des faibles ventes de l’album attisent un public toujours plus jeune et fidèle. Voilà comment Indo survit, là où dans le tumulte des courants musicaux changeants de cette décennie, un groupe français vieux de quinze ans porte l’étendard du pop-rock britannique sur la scène francophone.

A l’instar de l’album précédent, Wax sort dans l’indifférence quasi-générale, sans promotion si ce n’est celle à l’initiative du groupe lui-même. Et pour promouvoir son œuvre, quoi de mieux que de la jouer sur scène ? Deux concerts anticipant la tournée sont programmés à cette fin le 15 et 16 décembre 1996, respectivement à l’Orangerie du Botanique de Bruxelles et au Casino de Paris. Sur scène, les frères Sirkis sont accompagnés du claviériste Jean-Pierre Pilot, arrivé sur la précédente tournée, et du guitariste M. Tox (Xavier Géromini de son vrai nom). Yann Cortéla remplace Jean-My Truong après six ans de bons et loyaux services et enfin, Marc Eliard, fidèle au poste depuis 1992 et, comme on le sait aujourd’hui, pour longtemps ! Les jumeaux restent bien sûr l’effigie du groupe et présentent au public français et belge leur formation qui rassure quant à sa stabilité malgré le départ de son compositeur historique. Les fans découvrent les titres chaleureux de Wax en live comme Unisexe et Satellite, mais aussi le mythique piano-voix Mes Regrets/3ème Sexe dont l’enchaînement entre le titre de Michel Polnareff et l’hymne de la décennie passée surprend et enchante l’audience. Normal ! Indochine étonnant, et étonné par ses fans est conforté par ces deux concerts encourageants. Et surtout, ils rendent compte que le groupe vit bien un renouveau, une seconde jeunesse qui de surcroît ne demande qu’à éclore…

Jumeaux

Le Wax Tour ne démarrant qu’en mai 1997, il reste du temps pour les répétitions et le peaufinage du show. Ainsi que pour la promotion bien sûr, essentiellement en Belgique mais il serait mentir d’affirmer que l’intégralité de la machine médiatique française lui a tourné le dos : le 6 février, Indo joue Révolution dans l’émission Taratata, suivie d’une interview de Nicola et Stéphane. Ce programme TV piloté par Nagui fait découvrir à une large audience des artistes plus ou moins connus de la scène actuelle, ce qui dans le cas d’Indo fait plutôt même redécouvrir le groupe. On en appréciera, outre la qualité des prestations toujours enregistrées en live, la chance que le programme aura laissée par deux fois au groupe de se défendre, la première ayant été la promotion d’Un Jour dans notre Vie en 1993. L’émission aussi aura connu des hauts et des bas mais son ancrage dans le paysage français perdure, en attestent par exemple les nombreux passages d’Indo dont l’édition anniversaire en 2024.

La tournée démarre le 2 mai à Bar-le-Duc. Loin des zéniths, le groupe se contente de salles de taille modeste dans les pays francophones, pour terminer à La Cigale le 16 octobre. Mentionnons entre autres le passage au casino de Spa le 18 juillet avec des invités, comme Rudy Léonet et Marc Morgan qui reprennent l’illustre L’Opportuniste. Ces concerts offrent d’autres curiosités de setlist comme le retour improbable de La Sécheresse du Mékong, à de rares itérations cependant. Mais la date restée la plus célèbre est celle de l’Ancienne Belgique le 11 mai, enregistrée pour un futur support live. A travers ce « best of » scénique comme sur place, le public constate l’énergie d’un groupe qui entonne une seconde vie, et pourtant bien dans le prolongement de la première. Quand on sait d’où vient Indo, et qu’on en a saisi l’essence, la tournée apparait comme une évidence, comme si c’était bien ce qu’il fallait faire. Et puis, le passé d’Indo n’est jamais bien loin, ne serait-ce qu’en la personne de Dimitri Bodianski qui fera bénéficier de sa présence pour jouer les parties saxo de Drugstar, confirmant par là même la continuité du groupe ! Alors définitivement oui, Indochine est toujours bien Indochine, dans la nouveauté comme dans ses classiques, et ainsi se côtoient dans la couleur jaune vive de cette tournée 3 Nuits par Semaine et Echo-Ruby, Tes Yeux Noirs et Je N’Embrasse pas… les compositions de Dominik Nicolas -qui autorisent leur utilisation sur scène via un arrangement de droits d’auteurs- sont tout de même davantage réunis dans la seconde partie du concert. Plus encore que dans les deux précédentes tournées, les arrangements plus rock transfigurent son œuvre (Monte Cristo!) et insufflent à côté des titres de Wax une ambiance survoltée qui ne trompe jamais. Maintenant et pour l’avenir, ces concerts sont une valeur sûre qui ne décevront pratiquement jamais ceux qui les vivent, le temps d’un rendez-vous ou pour la vie, le deuxième cas étant bien plus fréquent. Le bouche à oreille commence doucement à se faire et le public s’agrandit, toujours un peu plus, quand bien même presque aucun média n’en relate l’existence. Du moins jusqu’à la sortie d’Indo Live…

Sur le papier, la signature avec Une Musique (label musical de TF1) pouvait tordre l’intégrité du groupe mais il n’en est rien, et Indo en tirera le bénéfice d’une promotion plus large qu’à l’accoutumée pour les ventes du double disque. Le « best of live » enregistré à Bruxelles et mis en vente le 7 novembre 1997 se vendra à 300’000 exemplaires, un score que le groupe n’avait pas atteint depuis longtemps, et si le côté compilation a probablement joué en sa faveur, c’est surtout l’opportunité de faire découvrir à grande échelle les chansons de Wax qui rappelons-le était passées inaperçues à sa sortie. Et BMG, qui a débarqué le groupe un an plus tôt, doit s’en mordre les doigts !

Disque d'or Indo Live

Quoi qu’il en soit ce succès incite Nicola à prolonger le plaisir. Délivré de la tempérance de Dominik Nicolas, le leader alors dans l’euphorie du renouveau de son groupe programme le Live Tour, un prolongement bienvenu de la tournée Wax pour l’année 1998. Dans l’absolu cette quinzaine de dates ne sont pas bien différentes des concerts de l’année passée et l’on en retrouve l’essentiel, si ce n’est le départ de M. Tox remplacé par un certain… Boris Jardel ! Le guitariste ayant déjà fait ses classes auprès d’autres artistes (Axel Bauer, Vanessa Paradis) est séduit par la tournure rock que prend Indochine et par un jeu de connaissances interposées, il se retrouve convié par Nicola et est retenu entre dix candidats pour se joindre au groupe. C’est aussi dans cette période qu’Indo enregistre une reprise de Seasons in the Sun de Terry Jacks, elle-même une adaptation de la chanson Le Moribond de Jacques Brel sorti en 1961. Nicola en profite pour chanter les paroles en anglais mais aussi en français sur l’un des couplets. Le titre a été joué en direct sur France 2 lors de l’émission J’vous ai apporté des bonbons en hommage au feu chanteur belge, mais une version studio existe également et pouvait être téléchargé sur le site officiel du groupe en 2000.

Mais revenons à Boris. Celui-ci partagera malheureusement peu de fois la scène avec les Sirkis réunis. En effet, Stéphane est gagné par la maladie, hospitalisé de longue durée et conduisant Nicola à prendre sa place à la guitare. Le Live Tour démarre le 1er mai 1998 à la Place du Marché de Compiègne (on est encore loin des Zéniths!), avec des nouveautés de setlist dont 7000 Danses qui figure désormais en morceau d’ouverture. C’est aussi le retour en force de l’album précédent avec Sur les Toits du Monde et Savoure le Rouge, tous deux réarrangés à grand renforts de guitares et d’intros inédites. Punishment Park jouit quant à lui d’une outro également nouvelle et Des Fleurs pour Salinger balance des beat électro toujours plus impulsifs. Les dates s’enchaînent avec entrain et en l’absence de Stéphane, Nicola maintient le navire avec une inflexible motivation. Les salles demeurent modestes mais elles sont pleines, comme la Fonderie à Caen et le Bataclan le 15 mai… jusqu’à la date finale à Melun le 1er juillet. La ferveur est à son comble après un énième final réussi sur l’invincible L’Aventurier suivie d’un ultime titre qui résume bien son auteur, Peter Pan. Le premier succès et la dernière chanson en date réunis, comme pour symboliser l’unité de la carrière d’un groupe ; néanmoins de plus en plus incarné par son charismatique meneur qui paraît déjà comme le seul survivant de la formation originelle…

Eté 98, les frères Sirkis décident d’écrire un nouvel album. Stéphane sorti de l’hôpital affiche un regain de santé et se lance dans de nouvelles compositions tandis que Nicola cherche un nouveau label…