Gravité nulle
A l’approche de l’Arena Tour, annoncé en grandes pompes à la sortie de l’album le 6 septembre 2024, Indochine continue de promouvoir Babel Babel avec la sortie du single devant succéder au Chant des Cygnes. Les spéculations ont été nombreuses quant au titre choisi, et ce n’est pas qu’une préférence et de goût personnel. Le choix du lead single est cornélien, celui du second l’est tout autant puisqu’il doit s’en détacher autant que s’en montrer à la hauteur. Prenons en exemple ceux des deux précédents albums : pour 13, Un Eté Français a été un second élan providentiel, déjà que La Vie est Belle a été un succès commercial, mais son successeur a réellement transformé l’essai. Pour Black City Parade, College Boy a surtout détoné avec son clip, mais la musique et le sens ont complété les propos de Memoria sur les mésaventures urbaines. Alors pour Babel Babel, ce deuxième single, ce sera La Belle et la Bête.
Et choisir spécialement ce morceau nonchalant aux accents reggae a des allures de prises de risque. Car à ce stade, deux états d’esprits s’opposent : il y a les éternels détracteurs du groupe, leur reprochant entre autres de « faire toujours la même chose », une critique ma foi assez risible car c’est aisément celle qu’on peut formuler à l’égard de n’importe quel artiste pour lequel on n’affectionne pas l’œuvre. Il n’y a donc pas de raison qu’Indochine en fasse les frais plus qu’un autre, du moins avec un niveau de notoriété similaire, quand bien même Indo s’auto-référence beaucoup et a fortiori ces dernières années. Mais Indochine ne faisant plus du Indochine serait-il encore Indochine, après tout ? La Belle et la Bête est la preuve que le groupe peut varier ses propositions sans perdre son ADN, comme il l’a toujours fait, et l’exposer au grand public est donc une démarche pleine de sens, quand bien même cela ne suffira pas à taire la mauvaise foi. De l’autre côté il y a les fans, qui ont en grande majorité chaleureusement accueilli cette démonstration originale du groupe, ou alors celle-ci ne l’était pas suffisamment pour les bousculer ? Quelle que soit la réponse, c’est bien le résultat qui compte, et c’est celui d’un titre enrichissant encore un peu plus le vaste répertoire du groupe aux quatorze albums.
Le public entend pour la première fois le morceau lors du Babel Show, diffusé la veille de la sortie de l’album. On entend alors résonner en intro la voix d’Henry Kissinger, ancien secrétaire d’Etat et diplomate américain mort en 2019, qui a principalement œuvré dans les relations entre les Etats-Unis et le reste du monde tout au long du XXème siècle. Les autres images diffusées pendant la chanson alternent entre les performances d’athlètes au saut à la perche et de singes élégamment costumés jouant des cuivres sur les ponts instrumentaux. Le rapport, me demanderez-vous ? Peut-être aucun, et il n’y en a pas non plus avec le clip sorti quelques mois plus tard qui propose encore tout autre chose : le groupe joue sur une scène d’opéra, et de jeunes danseuses dont la chorégraphie endiablée évoque la cueca, une danse traditionnelle chilienne. La mise en scène rappelle un peu le clip de Mao Boy mais cette fois en public, hypnotisé par les performances des ballerines dansant frénétiquement sans montrer le moindre signe d’épuisement. Mais il faut bien une fin à tout et c’est la séquence live qui achève le mieux le morceau, avec une outro aux trombones illustrée par deux primates au regard placide.
Ce n’est pas tout à fait la première fois qu’Indo s’essaye au reggae. Trump le Monde sur l’album précédent lorgnait déjà avec le genre sur les couplets, et ce n’est pas non plus la première fois que le groupe se prête à la fusion des styles qui ne sont pas les siens, j’entends ceux en dehors du pop-rock, de l’électro et de la new wave. Révolution, en 1996, empruntait quant à lui les codes du gospel, jusqu’à engager des choristes pour compléter la partie vocale, et le mix pop a donné un excellent résultat, autant sur l’album qu’en live. On pourrait également citer More en 1990, avec son santur Iranien sur l’intro de la chanson, la valse poussant Indo à composer sur trois temps pour La Bûddha Affaire ou encore la version live d’Union War flirtant avec la country. Ces essais ne sont pas seulement des emprunts à la musique du monde, non, ce sont de véritables créations artistiques, mariant le meilleur des mondes et intégrer des codes aussi différents à ceux de la musique d’Indochine se sont avérés jusque là des paris relevés haut la main. Si bien qu’on s’étonne (ou pas) que La Belle et la Bête soit le premier de la liste à sortir en single.
La sortie de La Belle et la Bête se fait en trois temps : d’abord le clip le 6 décembre 2024, le Maxi CD le 20 puis le Maxi Vinyle le 24 janvier 2025. Sur les deux supports, on retrouve l’édition album de la chanson, l’édition single sectionnant simplement quelques secondes, la version live du Babel Show (en préambule au CD sortant avec la box collector de l’album seulement quelques jours plus tard) et deux remixes. Le premier, édité par Marlon, pousse davantage le côté reggae en y ajoutant le synthé typique du genre absent de la chanson originale (on peut d’ailleurs en profiter dans une version instrumentale, fait rare chez les remixes) tandis que le deuxième par Oli ajoute une couche électro dynamisant un morceau qui n’est pas à la base pas prévu pour ça. Le résultat est bon sans impressionner toutefois, mais c’est toujours une addition intéressante dans la remixographie du musicien.
