Traité de paix

Quatre ans après le début de la guerre, en été 1918, l’armée allemande est durement éprouvée par l’échec de ses offensives. La contre-attaque des fronts français et les renforts des alliés anglais et américains anéantissent toute possibilité de victoire, bien que ni le kaiser Guillaume II ni les chefs militaires ne veulent admettre leur défaite. La capitulation de leurs alliés et de nouveaux échecs sur le front oriental finissent le travail et les chefs vainqueurs souhaitent aboutir à un accord de paix : c’est l’Armistice, dont la signature le 11 novembre marque la fin des combats.

Fin de la guerre, fin de l’album, fin de la tournée avec un stade national qui a symboliquement achevé le concert sur cette chanson. C’est dans l’ordre des choses, la logique du message, qui a eu son début et sa fin. Nous voici en été 2010, parsemé de quelques festivals et du prolongement traditionnel de la liste des concerts comme pour retarder le temps des adieux, mais un goût d’achevé est déjà sur toutes les lèvres tandis qu’un ultime single scelle le destin de l’ère Meteor. Le Dernier Jour est arrivé, oui, dans les larmes et le soufre, sonnant la fin du sang versé qui a lavé les champs de bataille d’une mare pourpre, coulant dans les tranchées sinueuses qui ont tant caractérisé cette guerre. La musique quoi que structurellement simple fonctionne très bien, avec la justesse de ton nécessaire à une célébration contenue que l’on voit davantage comme un soulagement que comme une réjouissance. Ça, Indochine l’a bien compris, même si la démarche des fins de concert n’a jamais été un moment de grande allégresse pour le groupe. Est-ce qu’après la séparation viendront les retrouvailles ?

Le clip est par contre moins ambivalent puisqu’il se concentre sur les parades de liesse qui célèbrent la fin de la grande guerre, avec défilés de majorettes et retour des soldats vainqueurs en ville. Comme pour Little Dolls le groupe use d’images d’archives authentiques, avec néanmoins un changement notable : l’effet d’étalonnage apposé sur l’ensemble de l’image où règnent des couleurs vives et saturées, comme s’étant imprimées sur la bande d’époque. Le choix est judicieux parce qu’il distingue le clip de celui de Little Dolls, visuellement parlant, mais aussi parce qu’il symbolise la gaieté revenue et l’humanité retrouvée, rappelant par là même qu’entre le sifflement de balles et l’explosion de mines, les femmes et les hommes du monde ne veulent qu’une chose : que la paix finisse toujours par triompher. Dans les faits historiques, ces moments de liesse sont trompeurs car un immense travail de deuil et de déconfiture morale attend le camp de vainqueurs, mais le choix d’éclipser ces ambiguïtés est un peut-être un moyen de rappeler qu’il est important de vivre l’instant pleinement, à l’image des concerts dont la joie et la célébration doivent demeurer les souvenirs prédominants dans la drôle de vie qui est la nôtre.

Le Dernier Jour a été joué sur l’intégralité des concerts du Meteor Tour, et presque toujours en final, le groupe ayant le rappel facile au cours de cette tournée. Absent depuis, il fera un retour unique et inattendu lors du « concert très très privé » de RTL2 sous la voûte de la coupole Oscar Niemeyer le 10 février 2021. Il fait partie de ces titres avec un refrain supplémentaire en outro, comme Alice & June et Little Dolls. Mais de toutes les versions existantes de ce titre, je vous recommande chaudement la version itunes Session jouée en live studio pour la promotion de l’album en 2009, la captation et le mixage y sont excellents avec des sons que l’on n’entend pas ailleurs.

Le choix du titre clôturant les albums a toujours été un travail pris au sérieux par Indochine, ou en tout cas depuis Paradize, et le résultat n’a jamais démenti le talent du groupe à cet exercice. Loin d’être anecdotiques, ces morceaux sont toujours dévoués à la tâche de mettre le point final de la plus belle des manières. Et cela implique d’avoir bien saisi l’univers de l’album, en avoir capté l’essence et en faire une synthèse de quelques minutes. Un Singe en Hiver est extraordinaire à ce titre, riche d’un seul piano et de paroles écrites par un Murat pourtant loin du groupe, et qui parvient de ces seules armes à conclure l’album Paradize. Un morceau si différent musicalement du reste de l’album, mais tant ancré dans le Manoir d’Indochine, fait partie du miracle de l’époque. Morphine et Starlight, chapitre fatal au livre Alice & June en recèlent toute la poésie, noire et romantique. Europane ou le Dernier Bal entoure la cité de Black City Parade d’un lyrisme étrange, une nostalgie perceptible. Et que dire de Peter Pan, la fin de Wax chantant l’éternelle jeunesse pour un artiste qui vit sa seconde naissance ? Ainsi trône Le Dernier Jour, aux côtés de ces fins de chapitres toujours maîtrisés, célébrant quant à lui la fin d’une guerre. Sans crédulité aucune, sans illusion sur l’avenir, parce que l’on a tous appris que le combat n’a jamais de fin.

Le Dernier Jour est le premier single à n’exister ni en single commercial, ni en single promo, puis la distribution aux médias s’est faite par l’envoi d’un simple CD gravé avec une pochette en papier plié. La version présente dessus est celle du clip, raccourcie depuis la version album en de nombreux endroits. Ce radio edit est peu accessible au public car même la soi-disant version single légalement téléchargeable sur le net n’est autre que celle de l’album, avec Tom et Jerry qui le suit de près. Comme sur l’album, donc.

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