Chaleur humaine

Après Le Chant des Cygnes et La Belle et la Bête, l’heure est venue de choisir un troisième single tandis qu’Indo enchaîne ses quatre concerts par semaine en ce printemps 2025. Les spéculations sont allées bon train, de par la multitude de choix au sein de l’album alors que chacun a confirmé sa préférence après avoir entendu les différents titres sur scène. Il y avait cependant peu de chances que des morceaux comme Ma Vie est à Toi, Tokyo Boy ou encore Girlfriend soient choisis, puisqu’aussi bons soient-ils, ces titres ne sont joués qu’un soir sur les quatre, et encore, pas toutes les semaines. Il faut plutôt se tourner vers ceux joués tous les soirs, et parmi eux, il y a le second titre inamovible qui lance les festivités comme Traffic Girl et 2033 en leur temps. Ce titre, c’est L’Amour Fou.

Intro faite d’échos à la guitare ciselée, ritournelle chatoyante au synthé en guise de gimmick, paroles chaleureuses et optimistes (« tout va bien se passer »)… c’est le choix de la lumière qui a été fait pour ce troisième single. Le texte de Nicola y raconte l’amour d’un père pour son enfant qu’il tente de rassurer quand vient la nuit, c’est ce qu’on devine en tout cas et ce qu’on peut aussi recouper avec des passages d’interviews lors de la promo de l’album, où le chanteur confie son regret de ne pas avoir passé plus de temps avec ses enfants, agenda de superstar oblige. Ainsi les paroles empruntent au lexique de l’enfance, bercé entre les « chevaux de bois » et les « tapis volants », pour conter un paradis dont il ouvre les portes quand, penché sur le lit de son enfant, il entreprend avec tendresse et patience de le faire s’endormir. Un beau tableau dressant là le sentiment de douceur et de bienveillance, de protection aussi, là sous la voûte d’étoiles tapissant le plafond d’une chambre qui brille au rythme de leur éclat coloré et étincelant. A l’heure où les gens viennent voir Indochine en famille, et où les membres ont tous connu la paternité, cette image visualisée pendant les cinq minutes du titre trouve toute raison d’exister et le choix de l’exposer sur la scène réelle comme médiatique s’avère très pertinent.

Mais choisir la lumière n’est pas sans risque et dans le cas de L’Amour Fou, on y subit une lumière aveuglante tant celle-ci veut briller fort ; au risque de perdre la nuance qui fait le sel d’un patrimoine artistique comme celui qu’Indochine a construit au fil des décennies. Et si le passage « Quand tu entendras les chiens, cache-toi sous les draps » peut apporter un double sens bienvenu en évoquant le danger du monde extérieur, la trop grande simplicité de la forme se fait au détriment du message en fond, et ce n’est malheureusement pas si rare que le prétexte de parler à un enfant entraîne un excès de simplisme, et c’est dans ce travers que tombe L’Amour Fou. Pire, il se mêle à celui de Nicola quand il écrit dans ses heures les moins inspirées : « c’est la viiiie, c’est la nuiiiit, tu voiiis » scandé ad nauseam sur le refrain lorgne avec l’auto-parodie, où la recherche artistique vacille au profit d’une plume pauvre s’étouffant dans la facilité. Ces reproches que l’on peut faire à Nicola ne concerne pourtant pas tout l’album, ce qui rend ce choix de single quelque peu frustrant car nombreux sont les titres de Babel Babel exempts de ce défaut, mais l’universalité du thème reste un argument de choix pour l’exploitation commerciale qui se joue. Alors au fond, pourquoi pas ?

Le clip, réalisé par David LaChapelle (qui a aussi signé la pochette de l’album, rappelez-vous), relève le niveau. D’abord présenté en avant-première le 29 avril au Pathé Palace à Paris en présence du groupe et du réalisateur américain, il est publié sur Youtube une semaine plus tard. Aussi pop et coloré que ce à quoi on pouvait s’attendre de la part de LaChapelle, il prend le parti de ne pas illustrer les propos directs analysés plus haut et opte pour un autre angle : celui du coup de foudre, puissant, imprévisible, frappant comme un sort de magie au détour d’un café que verse une serveuse (Flora) à un employé (José) à la pause professionnelle de ce dernier. Quelques secondes de regard plongé l’un dans celui de l’autre suffisent, et voilà les deux jeunes qui se mettent à danser, en parfaite synchronisation, célébrant l’amour et la vie. Les murs du café ne suffisent plus à contenir cette énergie soudainement abondante alors ni une ni deux, le duo s’évade, sur le pont d’une péniche comme sur le parvis d’une église, ou bien encore simplement dans la rue, avec un soleil sans le moindre nuage comme venant illuminer cet amour florissant. Et la danse continue, encore et toujours, avec pour seule pause la cérémonie du mariage pour l’échange des liens sacrés, avant de reprendre de plus belle une fois l’union scellée. C’est fou ce qu’il se passe dans un simple regard, quand bien même le retour à la réalité frappe comme une tasse de café qui déborde. Restent alors les fleurs et les bijoux, symboles matériels pour ne pas se perdre de vue, parce que la vie est trop belle pour ne pas saisir les opportunités qu’elle offre. Et là la forme rejoint le fond, avec une très bonne exécution des idées où rien que celle de porter l’œil de la caméra au Mexique donne un véritable cachet à l’œuvre. Voilà donc que ce qu’elle raconte, l’amour inconditionnel, celui que se portent deux êtres qui font battre leur cœur au rythme de la vie.

L’Amour Fou a atterri sur les plates-formes audios avant même son annonce officielle. Les supports viendront encore plus tard, le 13 juin pour le Maxi CD et le 27 pour le vinyle. On y trouve six titres, soit la version album, celle single et celle du Babel Show. Et comme pour le single précédent, deux remixes s’ajoutent à la liste dont celui d’Oli, mais le climat initial du morceau et la piste voix ne rendent pas l’exercice évident. On y trouve quand même des trouvailles sonores intéressantes, autant dans la proposition d’Oli que dans celle de Joris Delacroix. Enfin, la version instrumentale révèle des sonorités nouvelles voire facilite l’appréhension de cette atmosphère finalement bien maîtrisée par Indo. A écouter si pas déjà fait.